Si les femmes tunisiennes ont bien une chose en commun, outre leur genre, c’est bel et bien cette situation humiliante face à l’épicier du coin au moment d’acheter des protections hygiéniques. Pas question de s’y rendre à l’heure du grand rush, où l’on risque de croiser « notre tonton » ou le beau garçon de l’autre bout de la rue. Il faut trouver le moment juste, après l’heure du déjeuner c’est l’idéal.
Après s’être assurée que le terrain est vide, il faut se saisir d’une bonne dose de courage pour énoncer ce dont nous avons besoin.
Et comme la honte ne suffit pas d’un seul côté, à l’écoute de notre requête, l’épicier détourne le regard de manière « pudique » pour se saisir de votre marchandise, qu’il enroulera dans un papier journal doublé d’un sachet en plastique noir de préférence. La transaction conclue, vous repartirez avec un profond sentiment de culpabilité. Seule solution pour l’éviter, la pharmacie au prix fort.
Heureusement depuis quelques années, la multiplication des supermarchés où individus et marchandises se confondent, acheter un paquet de serviettes hygiéniques n’est plus une situation humiliante.
En parler, le vivre au quotidien reste encore tabou, jouer la comédie du « jeûne » durant ramadan est une chose ancrée dans les mœurs de la gent féminine tunisienne.
Mais quelle incidence de ce tabou sur le travail pour la femme ?
Quand on sait que les femmes tunisiennes sont généralement employées dans les secteurs les plus ingrats comme l’agriculture, l’industrie, le nettoyage, la fonction publique; autant des lieux où elles ont rarement accès à des sanitaires répondant aux normes d’hygiène.
De plus les règles douloureuses (dysménorrhées) ou encore l’endométriose sont des maladies aujourd’hui reconnus comme étant handicapantes. Alors ne serait-il pas de bon sens d’accorder à la femme tunisienne le droit à un jour de congé payé par mois ?
La question pourrait au moins faire débat. Le congé menstruel est l’objet d’une loi au Japon, en Corée et même en Indonésie, le pays musulman le plus peuplé au monde, et ce depuis près de 70 ans. La question est d’autant plus d’actualité que de plus en plus d’entreprises privées à travers le monde, proposent à leurs salariées un ou plusieurs jours de repos pendant leurs règles.
Chez nous malheureusement, nous ne risquons pas dans ce domaine de faire « l’exception tunisienne », la tradition religieuse mettant au centre le corps et son hygiène comme nécessité absolue pour une pratique spirituelle, et la « pudeur » pour lexique quand il s’agit du corps féminin.
Enfin la stigmatisation de la femme dans son accès au marché du travail risque d’être la principale barrière. En effet avec un chômage à 23% pour les femmes contre 15% chez les hommes, il est indéniable que le droit à jour de congé payé au préalable risque de handicaper la femme dans sa recherche d’emploi.
Le silence des règles a encore de longs jours devant lui.Quand bien même elles concernent la moitié de la population tunisienne et mondiale, ces règles restent un stigmate de ce « deuxième sexe »… Alors que si hommes souffraient de douleurs sous la ceinture chaque mois, ç’aurait fait bien longtemps que ce congé serait inscrit dans la Constitution!