Du jamais vu. Les relations franco-algériennes, en dents de scie, ont connu une alternance de moments difficiles et paisibles, et, après la visite du président français à Alger en août 22, on pensait qu’une nouvelle feuille de route inaugurait une ère d’amitié. Et puis, la venue du président Tebboune à Paris était sans cesse retardée en raison d’exigences algériennes.
Aujourd’hui, divers événements font que les deux pays semblent au bord de la rupture. Il y d’abord eu, en juillet dernier, la lettre de Macron au roi Mohammed VI reconnaissant la marocanité du Sahara occidental, confirmée par une visite d’Etat en octobre. Insupportable pour Alger qui dénonçait une « trahison », une marque d’hostilité.
Le 16 novembre, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal était arrêté à son arrivée à Alger, accusé d’« atteinte à l’intégrité du territoire national ». Il avait notamment dit que « quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc » et que « c’est facile de coloniser des petits trucs qui n’ont pas d’histoire, mais coloniser un Etat, c’est très difficile ». Alger rejetait tous les appels à sa libération.
Le 6 janvier, devant les ambassadeurs de France réunis à l’Elysée, Emmanuel Macron tenait des propos très durs : « L’Algérie que nous aimons tant et avec laquelle nous partageons tant d’enfants et tant d’histoires entre dans une histoire qui la déshonore, à empêcher un homme gravement malade de se soigner. Ce n’est pas à la hauteur de ce qu’elle est ». La réplique du ministère algérien des Affaires étrangères ne tardait pas : « « Immixtion éhontée et inacceptable dans une affaire interne algérienne ». La presse algérienne embrayait : « La crise entre l’Algérie et la France s’aggrave » (El Watan), « Acharnement français contre l’Algérie » (Le Quotidien d’Oran), « L’Hexagone en proie à la folie coloniale : les vieux démons se réveillent » (L’Expression). El Moudjahid, le quotidien officiel du régime, allait plus loin : « Son déshonneur, la France le traîne déjà avec ses actes durant la colonisation de l’Algérie : massacres de populations désarmées, villages rasés, femmes et enfants calcinés au napalm, bombes nucléaires, torture, viol… ».
Comme si cela ne suffisait pas, une nouvelle affaire éclate, celle des influenceurs algériens ou franco-algériens qui diffusent sur les réseaux des vidéos haineuses qui visent des opposants. L’un d’eux, surnommé Doualemn appelait en arabe à « tuer » et « à faire souffrir » un manifestant opposé au gouvernement d’Alger, y ajoutant des commentaires antisémites. Il y a controverse sur la traduction…
Le ministre français de l’Intérieur Bruno Retailleau décidait de l’expulser, mais, hier, Alger refusait de l’accepter. D’où retour de l’avion et placement de Doualemn dans un centre de rétention administrative.
Pour Retailleau, Alger a violé la convention internationale de Chicago qui rappelle que “les pays sont comptables de leurs propres ressortissants”. L’influenceur avait un passeport algérien biométrique valide. « L’Algérie cherche à humilier la France », je pense qu’on a atteint avec l’Algérie un seuil extrêmement inquiétant » a déclaré le ministre qui ajoute qu’ « on doit désormais évaluer tous les moyens qui sont à notre disposition vis-à-vis de l’Algérie»
Il n’existe aucune preuve que Tebboune et ses généraux soient derrière les influenceurs, mais plusieurs observateurs commencent à parler d’une « guerre hybride » menée par Alger contre Paris. D’autres n’y croient pas et soulignent que personne n’a intérêt à une rupture totale, trop de liens, malgré les secousses, unissent les deux pays. Et l’Algérie a besoin de l’Europe.
Cependant, il apparaît de plus en plus clairement que Tebboune, très mal réélu – 95% des voix mais pas plus de 20% de votants – fait face à une contestation plus ou moins larvée – le hirak n’est pas mort- et que la France lui sert de bouc émissaire. Entretenir un sentiment anti français, sans doute moins fort qu’on ne le dit, évite d’affronter d’autres problèmes, notamment l’isolement croissant du pays. Les amis sont la Russie, la Chine et la …Tunisie.
En France, les oppositions de droite et d’extrême droite réclament la dénonciation de l’Accord de 1968 «relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles». Il n’en reste pratiquement rien et les Algériens sont les ressortissants dont les demandes de visas sont les plus rejetées par la France, chaque année . Mais c’est symbolique.