Plus oubliée encore que la dramatique guerre qui meurtrit le Soudan, Haïti est au bord du chaos. Hier devant le Conseil de sécurité de l’ONU, à l’occasion du rapport trimestriel sur la situation, Maria Isabel Salvador, la représentante spéciale de l’organisation dans le pays, a alerté : Haïti s’approche d’un point de non-retour et n’a plus beaucoup de temps pour redresser la barre. Ces deux derniers mois, 60 000 Haïtiens ont été déplacés et plus de 1 000 ont été tués. Sans compter les trop nombreuses victimes de violences sexuelles.
Le constat de Maria Isabel Salvador est sans appel : « Alors que la violence des gangs continue de s’étendre à de nouvelles régions du pays, les Haïtiens sont de plus en plus vulnérables et sceptiques quant à la capacité de l’État à répondre à leurs besoins. Haïti pourrait être confronté à un chaos total. Vos réponses rapides pourront contrer une telle détérioration ». Le secrétaire général Antonio Guterres a évoqué les « craintes d’un effondrement imminent de la présence de l’État à Port-au-Prince ».
Il y a quelques jours, le 17, Haïti se souvenait que 200 ans plus tôt, le roi de France Charles X reconnaissait l’indépendance acquise en 1804 par la révolution victorieuse des esclaves noirs menés par Toussaint Louverture, en échange d’une indemnité de 150 millions de franc-or pour «dédommager les anciens colons». Le nouvel État, forcé d’emprunter, notamment auprès de banques françaises ne finissait de payer sa « dette » qu’en 1952.
La moitié de l’île d’Hispaniola était aussi mise à mal par les Etats-Unis. En décembre 1914, des marines américains débarquaient et commençaient une occupation de 19 ans par un vol de 500 000 dollars dans les réserves d’or, transférés à la National City Bank. Washington imposait une nouvelle Constitution et prenait le contrôle total de l’île et de ses richesses.
Dette française, domination américaine : deux événements qui, selon nombre d’historiens sont à l’origine de cette tragédie haïtienne. Totalement ou en partie ?
A l’occasion de ce 200e anniversaire, le président français Emmanuel Macron a promis de «regarder cette histoire en face» et de «refuser l’oubli et l’effacement». Il a aussi annoncé la mise en place d’une commission mixte franco-haïtienne d’historiens, mais n’a pas parlé de «réparation» et de «restitution».
Faire la vérité, c’est également reconnaître la responsabilité des dirigeants haïtiens qui, à l’image des Duvalier, père et fils, ont mis le pays en coupe réglée avec leurs milices privées dont les « tontons macoutes » qui préfigurent les gangs actuels qui contrôlent 85% de la capitale.
En novembre dernier, Emmanuel Macron se montrait très dur après l’éviction du président Cornille défendu par la population mais critiqué par le conseil de transition. Il répondait, à Rio, à un Haïtien qui l’interrogeait : « C’est terrible. Ils sont complètement cons, ils n’auraient jamais dû le sortir » et ajoutait : « ce sont les Haïtiens qui ont tué Haïti, en laissant le narcotrafic».
Lundi, l’ambassadeur de Port-au-Prince le rejoignait devant le Conseil de sécurité : « la République d’Haïti est en train de mourir à petit feu sous l’action combinée des gangs armés, des narcotrafiquants, et des trafiquants d’armes ». Il appelait à « aider à débarrasser le pays des gangs qui terrorisent la population ».
Pas sûr que ce soutien arrive : les États-Unis ont annoncé une révision majeure de leur engagement envers Haïti, mettant fin à leur soutien financier massif ( 600 millions sous Biden) dans le cadre de la réponse internationale à la crise sécuritaire. La mission autorisée par le Conseil de sécurité compte environ un millier de policiers de six pays, encore loin des 2 500 attendus.
Plusieurs membres du Conseil de sécurité dont la France et le Royaume-Uni ont réclamé de nouvelles sanctions « ciblées contre les responsables de violence sexuelle », utilisée par les gangs « comme un moyen d’asservissement et de terreur », mais aucune mesure d’aide concrète n’a été annoncée…