Les chiffres donnent le tournis, mais ils sont trop souvent méconnus du grand public car ce qui se passe en Haïti reste sous les radars de l’actualité. Il faut des drames pour que les médias consacrent quelques lignes à ce pays caribéen de l’île d’Hispaniola, comme le massacre de 177 personnes par des gangs le 3 octobre dans la ville de Port Sondé ou les 28 bandits tués ce mardi par la police et les habitants d’un quartier de la capitale Port-au-Prince. Des tueries dont les Haïtiens ont malheureusement l’habitude et qui entraînent la peur, la fuite.
La semaine dernière, en quatre jours, 20 000 personnes ont dû quitter leur résidence, 100 000 depuis juin, 700 000 au total dont la moitié d’enfants. Entre juillet et septembre, on a recensé 1233 meurtres, 45% commis par les forces de l’ordre, 47% par les gangs constitués de 30% à 40% d’enfants. Hier, Médecins sans Frontières a annoncé suspendre ses activités « jusqu’à nouvel ordre » en raison des attaques et menaces venant des policiers !
Les milices armées sont consubstantielles d’Haïti. Ce furent d’abord des paramilitaires, les sinistres « tontons macoutes » des Duvalier père et fils de 1950 à 1986. A la chute de Jean-Claude, Ils se sont mis au service de politiciens ambitieux avides de pouvoir ou d’hommes d’affaires peu scrupuleux. En revenant au pouvoir en 1994, le père Jean-Bertrand Aristide a interdit ces milices aidé par des jeunes en armes, ses « chimères ». Sa présidence est un échec mais ses soutiens désœuvrés sèment la terreur dans la capitale. Une violence sans fin.
Un temps, les présidents successifs, Préval, Martelly et Jouvenel Moïse laissent croire à une amélioration mais les rivalités et intérêts opposés reprennent le dessus. L’assassinat de Jovenel Moïse en juillet 2021 replonge l’île dans une crise qui ne cesse de s’aggraver.
Pas d’élections depuis 2016 et au moins 200 gangs qui imposent leur loi, se battent entre eux ou s’unissent. Ils ont forcé un Premier ministre a démissionné et il y a dix jours, ont critiqué le limogeage du Premier ministre nommé par le Conseil présidentiel de transition, Gary Cornille, jugé « moins voleur » que les membres de ce CSP… Ils ne veulent pas du nouveau, l’homme d’affaires Alex Didier Fils-Aimé qui, comme ses prédécesseurs, promet de rétablir la sécurité et d’organiser des élections.
Regroupé au sein de « Viv Ansanm », vivre ensemble, les gangs qui contrôlent 85% de Port-au-Prince et tous les axes routiers entendent peser sur la vie politique et donner le pouvoir au peuple qu’ils prétendent représenter tout en le massacrant.
Ce mercredi, le Conseil de sécurité de l’ONU se réunit à la demande de la Chine et de la Russie pour entendre un exposé de Rosemary Di Carlo, Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques, sur la situation sécuritaire et humanitaire déjà qualifiée ce printemps de « cataclysmique » . Les États-Unis et l’Équateur proposent une résolution visant à transformer la Mission de soutien multinational à la sécurité (MSS), dirigée par le Kenya, en une opération officielle de maintien de la paix. Rejetée l’an dernier, elle n’a toujours pas le soutien de Moscou et Pékin qui réclament une analyse plus approfondie et soulignent que l’histoire montre que les interventions étrangères ont fait plus de mal que de bien en Haïti. On peut citer l’occupation américaine de 1915 à 1934, l’aide apportée au président Martelly qui fut ensuite sanctionné, la réinstallation au pouvoir d’Aristide ou la désastreuse mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti qui apporta le choléra et laissa des centaines d’enfants issus de viols. Une manière pour la Russie et la Chine de rappeler les méfaits de l’impérialisme occidental.
À ce jour, seuls 430 agents ont été mobilisés pour la mission multinationale, dont 400 du Kenya et une trentaine venant des Bahamas, de la Jamaïque et du Belize. Le président kényan William Ruto a promis l’envoi de 600 policiers supplémentaires avant la fin de l’année, mais ces effectifs restent loin des 2 500 estimés nécessaires pour faire face à la puissance des gangs armés en Haïti. Le financement n’est pas non plus assuré…
Il ya un mois, la ministre des Affaires étrangères Dominique Dupuy, qui ne figure plus dans le nouveau gouvernement disait souhaiter une mission officiellement onusienne, voyait son pays proche de la famine et s’écriait : « les enfants d’Haïti ne méritent pas moins que ceux de l’Ukraine et de Gaza ».