La Tunisie rappelle son ambassadeur à Rabat. C’est la première fois depuis son indépendance que le pays fait un tel geste compris dans le jargon diplomatique comme l’expression d’un mécontentement voire de la colère.
Pourquoi un tel geste de la part de la Tunisie?
Rappel des faits: Dans le cadre de la Ticad 8, le Président Saied a reçu le Chef du Polisario, Brahim Ghali. L’accueil s’est fait dans la foulée des réceptions des différents chefs d’Etats africains participant à cette conférence. Manifestement, le Président tunisien n’a pas ménagé ses efforts pour réserver au leader sahraoui, photos à l’appui, un accueil digne d’un Chef d’Etat à part entière. Déplacement présidentiel jusqu’à l’aéroport, tapis rouge, bras ouverts et tutti quanti…
La réaction marocaine ne s’est pas fait attendre: communiqué incendiaire, annulation de la participation à la Ticad 8 et rappel pour consultations de l’ambassadeur à Tunis. Faisant de même, la Tunisie réagit et publie un communiqué sur le même ton de défiance et rappelle, elle aussi, son ambassadeur à Rabat.
Au-delà de ces gestes inhabituels entre les deux pays frères, c’est tout un pan de la diplomatie tunisienne qui semble s’écrouler aujourd’hui.
Depuis 66 ans en effet, la Tunisie a présenté un visage diplomatique dont le calme et l’apaisement sont ses traits distinctifs qui lui ont permis d’entretenir, tant avec les pays de la région qu’avec ceux du reste du monde, une relation basée sur des constantes solides.
Respect des choix des pays frères et amis, non intervention dans leurs affaires intérieures, attachement viscéral à la légalité internationale, recherche permanente du dialogue pour la résolution des différends et conflits…, toutes ces constantes dans sa démarche diplomatique ont valu à la Tunisie, la confiance de ses partenaires, tout en lui évitant de tomber dans les pièges des blocs et des alignements trop marqués.
Cette « fâcherie » avec le Maroc, tout en mettant en danger cet héritage diplomatique, aura des conséquences incalculables sur toute la région maghrébine.
D’abord mettra-t-elle en péril ce qui restait de l’équilibre au Maghreb? On a beau dire que l’accueil du leader sahraoui était inscrit à l’ordre du jour de la conférence africo-nippone, le zèle mis par Kais Saied, est logiquement interprété comme un changement d’attitude hostile au Royaume chérifien. C’est d’autant plus vrai, que le 20août , Mohamed VI annonçait dans un discours que la position vis-à-vis de la question du Sahara occidental constitue désormais le prisme à travers lequel sera déterminée la relation avec le Maroc. Autrement dit, « si tu es avec le polisario, tu es contre le Maroc ». Kais Saied le savait. Il était libre de recevoir en grandes pompes Brahim Ghali ou pas. Il a choisi.
En traitant le leader Sahraoui comme l’égal d’un chef d’ Etat, Kais Saïed prenait, ipso facto, le parti de l’Algérie. Ce « rapprochement » trop manifeste de Kais Saied pour le grand voisin, se mettait en place depuis une année en fait. Plus précisément depuis l’arrestation par les autorités algériennes de l’ancien rival à la présidentielle, Nabil Karoui. L’expression la plus manifeste de ce rapprochement, a été la dernière visite de Kais Saied à Alger au cours de laquelle, le président Tebboune, a autorisé la réouverture des frontières pour les touristes algériens.
A la chaleur dans le rapprochement avec l’Algérie, correspondait une froideur inversement égale, dans les relations avec le Maroc. Aucune visite de premiers responsables de part et d’autre, aucun projet commun, aucune manifestation qui rappelle les solides relations entre les peuples et les deux pays.
A l’inverse, les relations avec l’Algerie ont connu un bond quantitatif et qualitatif. L’Algerie a apporté aides et appuis à la Tunisie en difficulté. De là, à ce que certains disent que la Tunisie est devenue une « nouvelle wilaya algérienne », il n’y a qu’un pas qui a été allégrement franchi. Derrière cette expression, véhiculée par les citoyens marocains sous la forme d’un hashtag sur twitter et relayée par des tunisiens attachés aux traditions diplomatiques d’une Tunisie, certes en crise économique et sociale mais résolument attachée à la fois à sa souveraineté et sa neutralité légendaire, il y a indubitablement autant d’amertume que de colère.
Par un comportement imprudent et entêté, Kais Saied fait perdre à la Tunisie la possibilité d’être au dessus des conflits pour pouvoir jouer le rôle d’arbitre le moment venu. Il met en danger les intérêts de son pays, lui qui n’a de cesse d’agiter le drapeau de la souveraineté, il vient de lui donner un sacré coup.