Par Abdeljelil Messaoudi
Dans son discours d’hier, lundi 13 décembre, le Président Saied a omis de dire le mot que toute la classe politique attendait:dialogue. Le dialogue, c’est concret. Il implique la mise à contribution des partis politiques- du moins les plus représentatifs-, les principales organisations nationales et les représentants de la société civile pour sortir de la crise dans laquelle vit le pays et qui s’est aggravée depuis le 25 juillet. Or le Président ne veut manifestement pas être concret.
UN PRÉSIDENT QUI N’AIME PAS DIALOGUER
Kaïs Saied rejette l’organisation de ce genre de dialogue qui avait pourtant valu à notre pays la reconnaissance du monde et le prix Nobel en 2015. Pourquoi ce refus du dialogue?
Pour deux raisons:
D’abord parce qu’un dialogue l’obligerait à composer et à faire des concessions, ce qu’il ne veut pas pour continuer à garder tous les pouvoirs entre ses mains. Ensuite, et cela nous l’avons compris clairement hier, Kaïs Saied veut entrer dans l’Histoire comme l’homme providentiel à qui seul revient le mérite des décisions du 25 juillet. Aussi, est-ce au même discours- un peu plus long quand même cette fois- grandiloquent, clivant et irréaliste que nous avons eu droit.
Plus soucieux de caresser le peuple dans le sens du poil -cela s’appelle le populisme- que de lui présenter des solutions concrètes à ses vrais problèmes de chômage, de perte du pouvoir d’achat, d’insécurité, d’absence de perspectives…, le Président Saied a préféré rester éloigné des préoccupations réelles en usant et abusant des termes les plus abstraits, tel que le « peuple » qu’il clame vouloir lui rendre le pouvoir, la « nation » qu’il dit avoir sortie des ténèbres à la lumière, ou encore la « souveraineté » qu’il veut restaurer.
Y’a t-il terme plus abstrait que le terme « nation », que toutes les démocraties du monde ont dû, pour le rendre concret, lui trouver des représentants dans le peuple, sous la forme et l’appellation les plus diverses: Assemblée, Congress, Bundstag, Chambre…
Mais y’a t-il plus irréaliste aujourd’hui que la notion de « souveraineté », dont le Covid justement a démontré l’existence toute relative, voire l’inexistence, y compris pour les grandes puissances?
De quelle souveraineté peut-on parler quand on est obligé de tendre la main aux «pays frères et amis » pour disposer de vaccins pour sa population ou de concentrateurs d’oxygène? Et comment se prétendre souverain qu’on on a une dette extérieure de 40 milliards de dollars, soit la plus élevée en Afrique?
LE PEUPLE ATTEND DU CONCRET
En annonçant qu’il a décidé- tout seul!- le maintien du gel de l’Assemblée des représentants du peuple mais sans la dissoudre, et sans suspendre par ailleurs la Constitution, le Président met le pays en situation d’attente, de stand-by. La fixation du 17 décembre 2022,(jour de la finale de coupe du monde du football !)pour la tenue d’élections législatives anticipées, va donner un coup d’arrêt au processus de la remise au travail et de la relance économique promise par la mise en place du gouvernement Bouden. Un an, c’est long, et il n’est pas évident que l’état du pays tiendra une aussi longue période, ni que les partenaires et bailleurs de fonds et à leur tête le FMI accepteront une si longue période.
Le peuple veut du concret. Il veut des mesures réelles et des décisions effectives portant sur l’amélioration de son quotidien. Les beaux discours sont périssables et finissent par ne plus opérer. Et d’autant plus rapidement que les attentes sont énormes parmi le peuple.
LA RÉALITÉ CHARNELLE
Mais en refusant mordicus le dialogue direct avec les principaux partenaires, en s’obstinant à cliver les Tunisiens en deux parties, alors que sa fonction est de les réunir tous autant qu’ils sont, ceux qui sont d’accord avec lui comme ceux qui sont contre, et enfin en s’aliénant toutes les composantes de la classe politique et jusqu’à l’Ugtt qui l’avait pourtant soutenu à tour de bras, Kaïs Saied s’isole chaque jours davantage et risque de perdre rapidement le crédit de son acte du 25 juillet.
On ne peut plus gouverner aujourd’hui un pays par oukases ou par des décrets-lois. Encore moins quand les caisses du pays sont vides. Le problème des Tunisiens n’est pas que politique. Le problème de la Tunisie n’est pas que juridique. Et ce n’est pas un collège de juristes aussi illustres soient-ils qui va apporter les solutions à des problèmes de réalité charnelle.
Porté aux nues par un peuple séduit par sa promesse d’en finir avec la corruption, Kaïs Saied serait peut-être inspiré de se souvenir de cette célèbre citation de l’anglais Emerich Acton:« Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument ».