2015 : l’Allemagne accueille de 800 000 à 1 million de réfugiés et Angela Merkel, interrogée sur leur intégration, répond : « Wir schaffen das ! » (« nous y arriverons ! »). 2025, Friedrich Merz, qui lui a succédé à la tête de la CDU, affirme « Das werden wir nicht schaffen » (« nous n’y arriverons pas ») et fait voter par le Bundestag , avec l’appui de l’extrême droite, des textes limitant l’immigration.
Que s’est-il passé entre temps, comment le parti chrétien démocrate a-t-il pu en arriver là ? A l’instar d’autres pays européens, l’extrême droite est montée en puissance, a séduit de plus en plus d’électeurs et a remporté des succès aux élections locales. Des attaques au couteau, un attentat meurtrier sur un marché de Noël ont secoué l’opinion. Une colère contre les immigrés qui tuent, un reproche fait au gouvernement de ne pas prendre de mesures fortes pour éviter les actes criminels de réfugiés qui auraient dû être expulsés.
Peu à peu, l’immigration s’est imposée comme un thème majeur de la campagne électorale en vue des législatives du 23 février. L’AfD, Alternative pour l’Allemagne, vantée par Elon Musk comme le parti qui va sauver l’Allemagne, en a profité et a progressé dans les sondages qui lui accordent de 20 à 23% des suffrages. La CDU menée par Friedrich Merz, donné favori pour être le prochain chancelier, a réagi d’autant qu’il stagne dans les intentions de vote, presque au-dessous de 30%. « Nous sommes confrontés aux dégâts de dix années de politique d’asile et d’immigration malavisée en Allemagne », a-t-il déclaré en annonçant qu’il soumettrait aux députés deux motions -non contraignantes- prévoyant des contrôles permanents aux frontières et le blocage des étrangers en situation irrégulière, y compris les demandeurs d’asile. Mercredi, elles ont été adoptées grâce au vote favorable de l’AfD par 348 voix contre 345. « Un moment historique, une nouvelle ère s’ouvre ici et maintenant » se félicite l’AfD.
« Une «erreur impardonnable» juge le chancelier Olaf Scholz qui s’est écrié devant les députés : « Depuis la fondation de la République fédérale d’Allemagne il y a plus de 75 ans, il y a toujours eu un consensus clair de tous les démocrates dans nos parlements : nous ne faisons pas cause commune avec l’extrême droite ». Accusé d’avoir brisé un tabou, le candidat chancelier a répliqué : « Une bonne décision ne devient pas fausse parce que les mauvaises personnes sont d’accord, elle reste importante ». Ce vendredi, il doit proposer une loi durcissant l’immigration.
Pourquoi Merz, qui se défend de toute intention de s’allier avec l’extrême droite, a-t-il présenté ces textes contre l’immigration ? Pour des raisons électorales : il espère qu’en montrant qu’il sera ferme, contrairement au SPD de Scholz, il détournera des électeurs de l’AfD. Une réponse à la colère populaire qui ne fait pas l’unanimité dans son camp. A la veille du vote, les deux principales Églises, catholique et protestante, ont jugé l’ initiative « contraire au droit et à la Constitution ». Elle est de nature à « diffamer tous les migrants et à attiser les préjugés », estiment les représentants confessionnels. Un pari, un coup de poker ? C’est ce que croit Scholz pour qui «un chancelier ne joue pas au poker». Difficile de savoir quelle sera la réaction des Allemands dans les urnes.
Les grands chefs d’entreprises ne sont pas non plus forcément d’accord avec le patron de la CDU. Avec les syndicats, ils assurent que le pays a besoin de 300 000 travailleurs de plus et qu’il ne faut pas risquer de paralyser l’économie. Les perspectives ne sont pas bonnes, le Produit intérieur brut allemand devrait progresser de seulement 0,3% cette année, contre 1,1% attendu à l’automne, a indiqué le ministre de l’Economie Robert Habeck. Il s’est inquiété de « l’attractivité croissante des gouvernements autoritaires » dans le monde auprès de l’opinion, comme la Chine, en reconnaissant qu’ils affichaient des résultats économiques souvent meilleurs que les démocraties comme l’Allemagne. En Algérie, les médias attirent l’attention sur la possibilité d’aller travailler en Allemagne…