Le match Tunisie-Mali était le premier de la CAN disputé en zone de guerre et, le jour même, un soldat était tué à Buéa, ville où sont situés les camps de base des équipes du groupe F, empêchant les entraînements de ceux qui ne jouaient pas à Limbé. A Bamenda, un sénateur a été retrouvé mort, criblé de balles. Les autorités camerounaises sont parfaitement au courant de la situation. En décembre, elles avaient reçu une lettre des sécessionnistes menaçant de perturbations les matchs, voire d’attaques des terrains. Le ministre de la Défense, Joseph Beti Assomo, répondait que toutes les dispositions étaient prises pour assurer la sécurité et le préfet de la région confirmait qu’il n’existait aucune raison de s’inquiéter. Les renforts militaires, lourdement armés, affluaient. Pourtant, la guerre est bien là depuis octobre 2017 et ne cesse de s’étendre. Déjà 3 000 morts et un million de réfugiés, de déplacés.
Le Cameroun, ancienne colonie allemande a été partagé, après la guerre de 14-18, entre la France et la Grande-Bretagne. En 1960, la partie française devenait indépendante, la Britannique l’année d’après, mais la zone nord du Cameroun anglophone choisissait le rattachement au Nigeria plutôt qu’un État fédéré. En 1972, le fédéralisme prend fin au profit d’un État unitaire. Devenu président, Paul Biya refusait toute négociation et, peu à peu, le ressentiment des anglophones grandissait. Ils s’estiment mis à l’écart, réclament davantage d’enseignement dans leur langue…
Des manifestations, des émeutes se produisaient çà et là et, le 1er octobre 2017 les séparatistes proclamaient l’indépendance de la République d’Ambazonie dans les deux régions anglophones du Sud-Ouest et du Nord-ouest, un territoire de 43 700 km², plus que les Pays-Bas ou la Suisse et riche en pétrole et gisements miniers. Un mois plus tôt, les Forces de défense d’Ambazonie étaient passées pour la première fois à l’action. Des incidents isolés, de petites embuscades commis par des « amba boys » peu armés puis une montée en puissance. Une véritable guérilla mais aussi de nombreuses exactions, des enlèvements contre rançon. Tous les « collaborateurs » sont ciblés. En décembre dernier, Human Rights Watch dénonçait des attaques systématiques et généralisées des groupes séparatistes armés contre des élèves, des enseignants et des écoles qui ont eu un impact dévastateur sur le droit des enfants à l’éducation. Ces groupes, disait le rapport, ont tué, battu, enlevé, menacé et terrorisé des élèves et des professionnels de l’éducation, harcelé et intimidé des familles pour qu’elles retirent leurs enfants de l’école, et brûlé, détruit, endommagé et pillé des établissements scolaires.
Le chef des Forces de défense d’Ambazonie, Cho Abaya, se justifie ainsi sur Facebook : « Le Cameroun tire 60% de son PIB de l’Ambazonie. Nous ferons en sorte que ce qu’ils y dépensent pour la guerre soit supérieur à ce qu’ils en tirent ».
Depuis quelque temps, les groupes rebelles sont de mieux en mieux armés, disposent d’armes lourdes et de matériel pour fabriquer des engins explosifs improvisés. Qui les aident ? Les sécessionnistes du Biafra, avec qui ils ont conclu une alliance en avril dernier, sont soupçonnés. Et peut-être même directement le Nigéria dont Biya s’est toujours méfié. Selon Yaoundé, « la montée en puissance de ces groupes terroristes, de par l’armement de gros calibre dont ils disposent, découle en grande partie de leur jonction avec d’autres entités terroristes opérant hors des frontières ».
Dans le nord, du côté de Garoua, où se disputent les matchs du groupe D, c’est Boko Haram qui fait peur. Au cours de la nuit de mercredi à jeudi, un soldat au moins a été tué et neuf autres blessés.