On attribue à Caton d’Utique cette expression devenue proverbiale: « il est difficile de discuter avec le ventre car il n’a pas d’oreilles ».
Les Tunisiens connaissent la faim et la privation. Les crises politiques qui se sont succédé depuis la révolution ont accéléré la paupérisation de toutes les couches sociales. La pandémie du Coronavirus l’a accentuée. Les populations les plus faibles se retrouvent totalement marginalisées. La classe moyenne, autrefois fer de lance de la croissance et de la consommation, peine à joindre les deux bouts face à l’augmentation vertigineuse et sans fin des prix.
Alors, vous parlez encore de démocratie?
La question paraît saugrenue. Elle n’en est pas moins posée avec de plus en plus d’insistance à mesure que la situation économique et politique se dégrade.
Le raisonnement que l’on fait est simple et la réponse est toute donnée: on n’avait pas la démocratie, mais on avait une vie économiquement meilleure. À quoi sert donc cette démocratie si c’est pour s’appauvrir, voir pour avoir faim?
Ceux qui posent cette question ne sont pas uniquement les citoyens lambda qui, on peut le comprendre, n’ont peut-être rien récolté des fruits de cette démocratie et n’ont pas vu s’améliorer leur condition. Ceux qui posent cette question et qui la font relayer ce sont aussi et surtout ceux qui passent pour les élites politiques et qui prétendent à un rôle de premier plan dans la direction du pays. Et c’est là que le bât blesse.
On sait que cette expérience démocratique déplaît et dérange dans notre monde arabe où les pouvoirs en place sont accaparés par une nomenklatura qui s’autoproduit sans changer, ou par des familles oligarques. Pour eux, l’exemple tunisien est dangereux car pouvant s’avérer contagieux. Il faut donc le proscrire, l’attaquer, le dénigrer.
Mais l’Occident, autrefois si prompt à donner des leçons sur les bienfaits de la démocratie ne fait pas mieux en ne faisant pas grand-chose justement pour aider cette Tunisie à sortir de sa crise économique, cette Tunisie voisine qui a fait une extraordinaire révolution et qui prouve qu’un pays arabo-musulman n’est pas condamné à la dictature ou, au mieux, à espérer l’arrivée d’un despote éclairé. Faut-il croire que nos voisins de l’autre rive considèrent que la démocratie est leur privilège propre?
Il y a visiblement beaucoup plus de moyens dépensés par nos frères et nos amis pour faire capoter le projet démocratique que pour aider ce pays à se relever. Alliances contre nature, large appui en matière d’information, subventions matérielles substantielles…, on utilise tous les moyens démocratiques pour saper les fondements de cette jeune démocratie, et le pays ressemble parfois à un champ de bataille d’une guerre de conflits idéologiques par procuration. Il n’y a d’ailleurs qu’à voir le spectacle que nous offre l’Assemblée pour se rendre compte de cette triste vérité que ceux qui menacent la démocratie ce sont ceux qui prétendent la servir, en l’utilisant non pas pour conforter la confiance des Tunisiens dans ce choix historique et de civilisation, mais pour le remettre en cause en jetant le doute sur son utilité. La tactique est simple: il suffit de poser cette question spécieuse: à quoi sert la démocratie si on a faim?
Réponse: on aurait eu faim de toutes façons, avec pour différence, l’espoir qu’on est sûr de pouvoir s’en sortir demain.