Une centrale électrique bombardée, un silo à grain frappé : cela ne vous évoque pas l’Ukraine agressée par la Russie qui vise la population civile ? Bien sûr que oui, mais cela vient de se passer à Kobané, dans le nord de la Syrie et ce sont les avions du petit Poutine du Bosphore qui ont lâché leurs bombes sur les Kurdes de Syrie qui contrôlent la région. Des alliés des Américains et de la coalition internationale qui a chassé Daech, des terroristes à éliminer à tout prix comme leurs frères du PKK en Irak, selon Recep Tayyip Erdogan, l’homme qui dirige son pays depuis vingt ans.
Les Kurdes, ce peuple trahi par le monde à plusieurs reprises depuis le traité de Lausanne de 1923 qui succédait à celui de Sèvres qui, en 1920, leur promettait un État, représentent quelque 20% de la population turque. Erdogan ne leur a pas toujours voué la même haine que ces dernières années. Au début, il a eu besoin d’eux pour asseoir son pouvoir. Il promettait alors la démocratisation et, candidat à l’adhésion à l’Union européenne, il devait respecter et protéger les minorités. Pour diverses raisons, depuis 2015, il a engagé la Turquie laïque -constitution de 1937- vers l’autoritarisme et l’islamisation. Les Kurdes du PKK qui avaient renoncé à la violence sont redevenus une cible.
Au-delà des péripéties politiques, il y a une constance : Erdogan ne pense qu’à lui, n’agit que dans un seul objectif : garder un pouvoir absolu. Il décide de tout, arrange les événements à sa manière sans grand souci de la vérité. Avec un bémol : ne pas trop mécontenter ses amis américain et russe.
Depuis plusieurs années, Ankara veut installer une zone tampon de 30 kilomètres dans la nord de la Syrie d’où il chasserait les Kurdes pour installer les 2,5 millions de réfugiés syriens que les Turcs supportent de plus en plus difficilement. L’attentat d’Istanbul, le 13 novembre, qui a fait six morts et quatre-vingt-un blessés a fourni le prétexte rêvé. Peu importe les démentis kurdes du PKK et de l’YPG. Peu importe que le mode opératoire est différent et que rien n’implique les Kurdes, au contraire. Erdogan n’a pas hésité à invoquer l’article 51 de la Charte de l’Onu sur « le droit naturel de légitime défense » pour envoyer ses avions bombarder les zones kurdes en Syrie et en Irak afin d’éliminer « les salauds ». Un vocabulaire poutinien…
Américains et Russes ont appelé à la prudence tout en laissant faire. Mais il n’est pas certain qu’ils toléreraient l’intervention au sol qu’annonce le sultan turc pour les prochains jours.
L’économie n’échappe pas au contrôle d’Erdogan. Il s’en sert à son seul profit pour étendre son influence en Afrique et dans le monde arabe. A l’inverse de tous les pays en crise, il baisse les taux d’intérêts afin de favoriser la croissance et les exportations. Un succès réel qui, combiné avec le statut qu’il se donne de protecteur des musulmans, lui permet de nouer et consolider des relations africaines et arabes. Le prix à payer est lourd pour les Turcs : une inflation à plus de 85%, près de 190% selon les économistes, une augmentation de la pauvreté de 135%.
Erdogan est conscient de la chute de sa cote surtout au sein de la jeunesse qui aspire à la liberté, mais compte justement sur l’offensive contre l’ennemi kurde qui menace l’unité et la stabilité du pays pour la remonter. Il punit et protège, espérant ainsi gagner des voix de nationalistes et de conservateurs afin de se faire réélire en juin prochain. Il est donné battu par le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, mais il pourrait l’envoyer en prison au moins un an pour « insulte » aux membres du haut conseil électoral. Il les avait qualifié d’ « idiots ». On attend le verdict. Il a aussi fait inculper un autre rival, le président du CHP ( social-démocrate) et possible candidat à la présidence, Kemal Kilicdaroglu, pour « diffusion de fausse nouvelle ». En octobre dernier, Erdogan a fait voter une loi les punissant jusqu’à trois ans de prison.
Dans tous les domaines, donc, Erdogan applique sa loi, moi d’abord, sûr de l’impunité que lui octroie la situation géopolitique, stratégique de la Turquie. Les Etats-Unis, l’Europe, la Russie doivent le ménager. Et il faut reconnaître qu’il est habile autant qu’il est sans scrupule.