Pour le patron des patrons, la question ne se pose même pas : la victoire de Gabriel Boric serait néfaste pour le pays car il est allié aux communistes qui n’engendrent que la misère ; une alliée du candidat de gauche réplique en assurant que l’élection de José Antonio Kast rimerait avec « ordre et répression ». Trop souvent, et à tort, les candidats à la présidence, peu importe le pays, veulent faire croire que l’élection présente un choix de société.
Aujourd’hui, au Chili, c’est vraiment le cas car tout oppose les deux hommes en lice. Trois exemples le prouvent : le parlement vient de rejeter par 65 voix contre 62 le droit à l’avortement jusqu’à la 14 semaine pourtant approuvé le 28 septembre. Ces mêmes députés ont validé le 7 de ce mois le mariage pour tous par 80 voix contre 20 et deux abstentions. Boric était favorable aux deux textes, Kast les désapprouvent.
En ce moment, une assemblé constituante présidée par une autochtone mapuche, Elisa Loncon, rédige une nouvelle constitution amenée à remplacer celle ultralibérale de Pinochet qui date de 1980. Elle devrait être plus à gauche, accorder davantage de droits sociaux, réduire les inégalités, reconnaître les droits des peuples autochtones… Le fruit de la révolte sociale d’octobre 2019 portée par la jeunesse contre le pouvoir de droite du président Sébastien Pineira.
En octobre 2020, un référendum faisait, à 78,31%, le choix d’une nouvelle constitution et en mai 2021, des élections envoyaient une majorité de gauche et d’indépendants à l’assemblée constituante qui doit rendre son projet en juin ou en juillet pour un référendum en septembre. Gabriel Boric soutient la ligne de cette constituante, pas José Antonio Kast qui, élu, pourrait entraver ses travaux, notamment en ne lui accordant pas de budget, l’actuel est déjà insuffisant.
Le premier tour du 21 novembre a placé le candidat de droite, voire d’extrême droite, en tête avec 27,9 % des voix devant celui de la gauche alliée aux communistes, 25,8%. José Antonio Kast, avocat de 55 ans, propose de réduire les dépenses de l’Etat et de créer de l’emploi en réduisant les impôts des entreprises. Gabriel Boric , 35 ans, ancien leader étudiant, veut faire payer les riches et ouvrir pour tous un meilleur accès à la santé, à l’éducation, au logement, à la retraite. Si la pauvreté s’est considérablement réduite, passant de 40 à 10%, le Chili est très inégalitaire – au 85e rang selon l’OCDE- et 1% de la population détient 26% des richesses. Ecole, soins, retraite, tout est payant, aux mains du privé.
L’issue de ce scrutin indécis dépendra largement de la participation. Seuls 47% des inscrits ont voté le mois dernier contre 51% lors du référendum d’octobre 2020. Les moins de 30 ans n’étaient que 45% à déposer un bulletin dans l’urne contre 55%. Or, ce sont eux qui ont mené la révolte de la fin de 2019 qui a conduit à la constituante. Ce sont eux qui se rangent derrière Boric, les plus de 50 ans soutenant Kast. Du vote de la jeunesse sortira le nom du président.
Kast a un atout : la peur que suscite son rival chez les plus conservateurs, chez une partie de la classe moyenne qui redoute des bouleversements trop forts. Pas question pour eux que le pays suive une voie gauchiste qui se rapprocherait de celle du Venezuela, synonyme d’échec total.
Deux visions opposées du Chili. Un pays profondément divisé. Des craintes de troubles dans la rue, de remous sur les marchés boursiers. 15 millions d’électeurs sont appelés à trancher