Espérons que le Maroc passe en demi-finale, mais sachons qu’une défaite contre le Portugal ne pourra effacer un exploit qui dépasse le football et restera gravé dans les mémoires. Ce mondial qatarien que certains voulaient apolitique – ne mélangeons pas sport et politique- est éminemment politique et ce dernier tir au but d’Aguerd a déclenché la liesse du monde musulman, arabe et aussi africain. Une fierté teintée de revanche sur cette Europe toujours qualifiée et donneuse de leçons droits-de-l’hommistes, une preuve que les peuples ne suivent pas toujours leurs dirigeants dont certains se seraient arrangés d’une défaite qui n’aurait pas mis en valeur un pays certes ami ou frère mais aussi rival.
Ce Maroc-Espagne a démontré, s’il le fallait encore, l’inanité, le ridicule de ce conflit entre l’Algérie et le Maroc qui pourrait se transformer en une guerre réelle, les deux pays s’armant à outrance. Interrogés individuellement, les Algériens soutiennent leurs frères marocains et sont fiers de leurs victoires, mais la police veillait à empêcher toute manifestation de masse ; la télévision et l’agence de presse algérienne ont annoncé la défaite de l’Espagne, pas la victoire des Lions de l’Atlas. Rien qui puisse mettre en valeur le voisin.
La liste des désaccords, des polémiques s’allonge chaque jour. Citons au hasard et sans ordre dans cette bataille politique et culturelle : le maillot de l’équipe d’Algérie inspiré du zellige, le raï, le couscous, les dattes, la confrérie Tijanya, les incendies, les jeux Méditerranéens d’Oran, le sommet arabe… Et bien sûr, la Kabylie et le Sahara occidental. Des deux côtés, la presse alimente chaque jour les tensions et interprète chaque déclaration. Pour rester dans le football, on pourrait dire que l’Algérie est à l’offensive et le Maroc plutôt dans la défensive.
Le conflit n’est pas né en 1975 avec la marche verte et la revendication de la marocanité du Sahara quitté par l’Espagne, il remonte à l’indépendance algérienne, aux différends frontaliers, à la guerre des sables de 1963. La force militaire est alors marocaine, le poids diplomatique algérien. Pas de réel vainqueur et au moins un point de l’accord de cessez-le-feu finalement jamais appliqué : fin de toute attaque publique par voie de presse.
L’Algérie d’aujourd’hui dirigée par de vieux militaires qui contrôlent un vieux président et ont besoin d’un ennemi de la nation qui détourne le peuple des problèmes internes. Tout pour se protéger et garder leurs privilèges. Cela dépasse le seul nationalisme. Le Maroc et son Maghzen est loin d’être exemplaire mais il n’a pas besoin d’ennemi pour maintenir son unité, le roi est son garant.
Ce conflit soigneusement entretenu dans les discours, les enceintes internationales et tous les médias cache la réalité : les deux pays ont la même ambition, le leadership au Maghreb et en Afrique de l’Ouest. Les frontières, la Kabylie et même le Sahara ne sont que des instruments, des moyens.
Alger et Rabat dépensent sans compter pour augmenter leur influence et le nombre de leurs alliés. Le Polisario, la RASD sont un gouffre sans fond, mais la guerre en Ukraine, le rapprochement avec la Russie remet une Algérie en difficulté et en perte d’influence sur le devant de la scène.
Au plan maghrébin, cette rivalité se paie également au prix fort. Selon la Banque mondiale, le PIB des cinq pays pourrait augmenter d’environ d’un tiers en dix ans si l’UMA existait.