Emmanuel Macron aurait dû être à Bamako aujourd’hui pour discuter avec le colonel Assimi Goïta avant d’aller à Gao pour un réveillon avec les soldats de Barkhane. L’Elysée a annulé le déplacement, officiellement en raison du covid qui fait à nouveau des ravages, mais les conditions d’une visite fructueuses n’étaient pas réunies : le Français souhaitait un entretien en présence de représentants du G5 Sahel et de la Cédéao, le Malien insistait sur un tête-à-tête. Les rapports sont difficiles entre le Mali, la France et les pays de la région. Pour une partie de la presse malienne, le président français, en renonçant à venir à Bamako, a évité « un sérieux camouflet ». Il aurait été mis devant les faits, c’est-à-dire l’inefficacité de Barkhane, la « duplicité » française voire la « complicité » avec les séparatistes, les djihadistes terroristes. Au Burkina Faso, le journal Le Pays écrit que « Macron a sauvé sa tête : le président français aurait pris de gros risques en allant au Mali. Il a vu juste en annulant son déplacement à Bamako. Il a sauvé sa tête au regard du contexte très volatile où d’aucuns n’excluaient pas des manifestations anti-françaises à l’occasion de son séjour en terre malienne. A quatre mois de la présidentielle, cela pouvait porter un coup dur au candidat Macron ». Mais le journal ajoute avec justesse qu’il faudra bien qu’un dialogue s’engage entre Paris et Bamako.
C’est la junte malienne qui a lancé les hostilités en dénonçant, de la tribune de l’Assemblée générale des l’ONU un abandon en plein vol » de la France qui arrêtait d’un coup Barkhane. Le Premier ministre Choguel Maïga savait que c’était faux mais poursuivait des buts personnels -se faire accepter- et de politique intérieure, la coopération grandissante avec la Russie. La France ne se retire pas, mais modifie son dispositif et, maintenant que les bases du nord, Kidal, Tessalit et Tombouctou, ont été remises aux forces maliennes, ramènera ses effectifs de 5 000 hommes à 2 500 ou 3 000 en 2023, en privilégiant le travail de renseignement et en laissant davantage le terrain à Takuba composé de forces spéciales européennes et maliennes.
On peut certes s’interroger sur l’efficacité de Barkhane et constater que le sentiment anti français augmente dans toute la région, mais la question centrale s’appelle Russie. Depuis l’indépendance, le Mali a entretenu de bonnes relations avec l’URSS puis la Russie. Aujourd’hui, le président Goïta et son ministre de la Défense Sadio Camara -le véritable homme fort ?- formés en Russie se tournent vers Moscou qui ne ménage pas ses efforts pour chasser la France, l’ex-colonisateur qui se sentirait toujours supérieur… L’ambassade de Russie soutient, et financerait, le camp hostile à Paris. Le site franco-malien Maliactu et la radio Lengo Songo sont des relais écoutés des infos ou fake news russes, des défenseurs de l’arrivée groupe militaire privé Wagner de l’oligarque Prigojine qui a déjà mis la main sur la Centrafrique.
La junte ne dément pas être en contact avec Wagner mais nie toute signature de contrat. Il existe pourtant ce contrat si l’on en croit Adama Diarra, dit Ben le cerveau, membre du conseil national de transition ou le journaliste Makan Koné, mort lundi dernier, qui l’avait révélé avant les agences de presse. S’il n’est pas signé, c’est en raison de problèmes juridiques liés aux concessions minières et aurifères accordées à Wagner et du prix mensuel de 9 à 10 millions d’euros, très lourd pour un pays endetté. Sans compter l’opposition aux mercenaires russes d’une partie de la classe politique, des Touaregs du nord et de pays du G5 Sahel. Et bien sûr de la France, de l’Europe et des Etats-Unis très engagés dans le renseignement.
1 000 mercenaires, qui ne combattraient pas, peuvent-ils faire mieux que Barkhane et Takuba qui refusent de coopérer avec les Russes et partiraient ? Le Mali serait-il plus souverain avec cette dépendance russe ? Goïta, Camara et Choguel Maïga connaissent la réponse… Mais s’ils ne veulent plus de la France, c’est leur droit, qu’ils le disent clairement…
Un autre facteur complique l’équation : l’Algérie. La nouvelle constitution lui permet d’intervenir hors de ses frontières et le nord du Mali, l’Azawad, est chasse gardée algérienne. Le chef du GSIM, Iyad ag Ghaly passe la frontière comme il veut, considéré par Alger comme un acteur majeur de la réconciliation du nord avec Bamako. Les contacts sont permanents entre les deux capitales et les généraux algériens approuvent le rapprochement avec Moscou. Au début du mois, sept membres de la coordination des mouvements de l’Azawad ont été assassinés par, laisse-t-on entendre, des mercenaires envoyés par le général Saïd Chengriha. Ils étaient hostiles au groupe Wagner…
Paris connaît le rôle joué et que veut jouer Alger. Le 8 décembre, le ministre français des Affaires étrangères déclarait après sa rencontre avec le président Tebboune : « Nous devons être en mesure de proposer des réponses opérationnelles aux défis que représentent le terrorisme dans la région sahélienne ». Wagner n’en n’est certainement pas une…
Dans cet imbroglio malien fait aussi de retards critiqués de la transition démocratique et de négociations avec les groupes jihadistes que ne mènerait plus l’imam Dicko, il faut écouter la voix du président nigérien Mohamed Bazoum qui note que « depuis près de deux décennies, le nord du Mali est un espace des non droit où s’est développé une économie criminelle (…) La solution est que le Mali redevienne un État normal, recouvre son territoire, exerce son autorité et coopère avec le Niger et le Burkina Faso ».
Le mal dont souffre le Mali ne date pas d’hier. Il est né à Bamako par la faute de dirigeants qui ne pensent qu’à eux. 80% du territoire échappe au contrôle de l’Etat et la pauvreté gagne dans un pays potentiellement riche. La jeunesse a été abandonnée. Elle aimerait aujourd’hui se faire entendre pour sauver le pays.La rappeuse Ami Yerewolo crie sa colère dans Lettre ouverte adressée au président malien. Elle témoigne dans Vanity Fair de mars dernier : « Ceux qui nous dirigent se fichent de nous. On vit dans une société où ce n’est pas la vérité qui compte, c’est l’argent, le pouvoir. Les enfants abandonnés se retournent contre le système », dit-elle, en référence à l’insécurité qui s’étend sur une partie de plus en plus large du territoire national, et aux groupes armés islamistes qui recrutent parmi une jeunesse pauvre et délaissée par l’État.