Dans son édition datée du 22 octobre, le site Africa intelligence annonce que le Président Kaïs Saïed, se rendra lundi prochain à Riyad, capitale de l’Arabie saoudite où il prendra part à la conférence sur l’environnement Middle East Green Initiative Summit organisée par le prince héritier Mohamed Ben Salmanan.
Comme on peut s’en douter, et comme l’a d’ailleurs noté ce site, le véritable objectif du du voyage présidentiel est moins pour marquer un quelconque intérêt pour le changement climatique, que pour tenter d’obtenir des riches frères du Golfe un soutien financier dont la Tunisie a tant besoin pour renflouer ses caisses vides, et pour déjà boucler son budget pour l’année 21.
Ce voyage intervient dans une situation marquée par des tensions inédites dans nos relations avec nos partenaires occidentaux traditionnels et les institutions financières internationales, FMI en tête. Alors que l’agence de notation Moody’s a dégradé la note souveraine de la Tunisie compliquant davantage nos rapports avec les bailleurs de fonds et autres organismes de la finance internationales, et que les négociations avec le FMI sont rompus, voilà encore que le Parlement européen adopte à une large majorité une résolution qui accroît la pression européenne et américaine sur le Président pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel rompu depuis le 25 juillet.
C’est donc un voyage de remplacement, pourrait-on dire, par lequel Kaïs Saied cherche à la fois à pallier le désengagement des partenaires traditionnels occidentaux soupçonnés d’immixtion dans nos affaires intérieures et de volonté de porter atteinte à notre souveraineté nationale, et à les remplacer par de nouveaux partenaires plus proches culturellement, bienveillants et peu regardants sur la question démocratique.
Depuis le 25 juillet, date à laquelle le Président Saied a pris la décision de prendre en mains tous les pouvoirs, le ballet des visites des frères Arabes du Golfe venus témoigner de leur « compréhension » des mesures exceptionnelles du Président Saied, n’a pas cessé à Carthage. Saoudiens, Émiratis, Koweïtiens et Égyptiens se relayent pour promettre aide et soutien.
QUOI DERRIÈRE LE BAL DES FRÈRES DU GOLF?
Mais qu’ont-ils donc tous ces gens en commun?
D’abord leur détestation des partis islamistes. Même si ces pays ont montré qu’ils pouvaient s’accommoder de la victoire d’Ennahdha aux élections ayant suivi l’avènement de la Révolution, ils ont changé d’attitude après le 4 juillet 2013 date de la suspension de la Constitution par l’armée en Égypte et du renversement du Président Mohamed Morsi. Pour ces pays, le parti de Rached Ghannouchi est le prolongement du Mouvement des Frères musulmans fondé en 1928 en Égypte, et considéré comme l’ennemi juré des régimes monarchiques du Golfe.
Ces pays sont, ensuite, liés par leur aversion commune à la démocratie vue comme une menace à la pérennité de leurs régimes souvent critiqués pour leur autoritarisme. Enfin, et plus concrètement, ces pays constituent un axe politique qui s’oppose à l’autre axe formé de la Turquie et du Qatar, depuis la chute du Président Morsi et l’ascension de Abdelfattah Sissi, que les pays du premier axe, et notamment l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, ont soutenu à tour de bras et à coup de milliards de dollars.
Il va sans dire qu’en sollicitant l’aide de ces pays, le Président Saied, à supposer qu’il l’obtienne, intègre la Tunisie dans un axe contre un autre. Ce qui, en premier lieu s’oppose aux valeurs qui fondent notre diplomatie, et met, en second lieu, en danger les acquis démocratiques de notre pays qui font de lui, et jusqu’à aujourd’hui, un modèle dans le monde arabe.
UN MODÈLE DE SOCIÉTÉ À NE PAS BRADER
Dès les premières années de l’indépendance, la diplomatie tunisienne, dirigée par Bourguiba, avait fait le choix du modernisme et de l’émancipation par la généralisation de l’école publique comme voie vers l’égalité et la modernité, et qui a abouti, après tant de soubresauts, à la réalité démocratique que nous vivons. Et c’est en Occident que le premier Président de la Tunisie était allé chercher son modèle de société et non en Orient.
Peut-on croire que l’aide et le soutien que vont nous apporter nos frères Arabes-si jamais ils les apportent- seraient juste dictés par « l’amour de l’arabité »?
Ne soyons pas dupes. Si jamais elle se concrétise, l’aide promise aura un coût élevé et sur plus d’un plan.
Sur notre modèle sociétal, tout d’abord, et par voie de conséquence, sur nos choix politiques et culturels. On ne donne pas son argent pour rien, et il n’y a qu’à voir ce qui est advenu d’un pays comme le Liban auquel tous les peuples Arabes lui sont redevables, peu ou prou, de leurs progrès modernes. Les pétrodollars avaient fini par ramener ce pays qui était le plus avancé du monde arabe à l’époque tribale avec ce que cela implique comme divisions, oppositions et violences.
On sait aussi ce que « la générosité » de nos frères Arabes a fait de l’Irak, de la Syrie, du Yémen et de la Libye.
Enfin, si Kaïs Saied a fait de la défense de la cause palestinienne l’un des principaux arguments électoraux lors de la présidentielle, il pourrait être sûr que si l’aide promise arrivait, elle aurait pour contrepartie le rétablissement obligé des relations avec l’Etat israélien. En voulant éviter l’interventionnisme occidental, il risquerait de se trouver dans le piège de la normalisation.
C’est ce qu’on appelle tomber de Charybde en scylla: »هرب من القطرة جاء تحت الميزاب »