Il y a deux semaines, on espérait encore le début d’une transition politique qui allait ramener les civils au pouvoir à Khartoum. Le général al Burhane assurait que « les parties » œuvrent « sans relâche pour résoudre les questions en suspens, dans le but d’aboutir à un cadre solide ». Un premier accord avait été conclu le 5 décembre 2022, mais les divisions entre militaires et représentants de la société civile ont repoussé par deux fois en ce mois d’avril la signature d’un accord définitif permettant d’aller vers une nouvelle constitution, la formation d’un gouvernement et la tenue d’élections.
Aujourd’hui, ce sont les armes qui parlent, qui ne masquent plus la rivalité entre les deux hommes forts du Soudan, le général Abdel Fattah al-Burhane et son second, Mohamed Hamdane Daglo, surnommé Hemedti, patron des FSR, les forces de soutien rapide. En cause, l’avenir de ces FSR et, finalement, celui des deux hommes. L’accord politique prévoit une seule armée et donc l’intégration des hommes de Daglo. Al Burhane la voulait limitée et sous conditions ; Daglo réclamait une place dans l’état-major, une inclusion totale dans une armée d’où auraient été exclus les éléments les plus islamistes.
Les deux hommes ont une même ambition : le pouvoir. Mais tout les sépare. Al Burhane, 62 ans, est un militaire de carrière qui a gravi les échelons sous le règne du dictateur Omar el Béchir qui l’a nommé commandant de l’armée de terre puis inspecteur général des armées. Mohamed Hamdane Daglo, dit Hemedti, né en 1975, n’a pratiquement jamais été à l’école, a vendu des chameau puis est devenu chef d’une petite milice, aux abords du Tchad. Peu à peu, il a pris la tête des janjawid qui se sont livrés à des atrocités au Darfour pour le compte de Béchir. Traité de voyou, d’illettré, il est devenu général et incontournable. En 2013, il commande les FSR, sorte de garde prétorienne du dictateur.
Quand le 11 avril 2019, l’armée destitue Omar el Béchir, au pouvoir depuis 30 ans, les deux généraux sont côte à côte. Ils le sont encore le 25 octobre 2021 pour faire tomber le régime civil du Premier ministre de transition Abdallah Hamdock. Pas question d’abandonner le pouvoir à des civils qui ne l’ont jamais vraiment connu depuis l’indépendance de 1956.
Deux généraux, deux rivaux décidés à ne rien céder, deux armées pratiquement équivalentes -autour de 100 000 hommes- qui disposent de larges moyens et d’alliés. L’armée de Burhane a des intérêts considérables dans l’industrie et le commerce ; Daglo a une immense fortune grâce à l’or qu’il exploite avec Wagner et aux ressources naturelles. Au fil des années, il s’est cultivé et a su se gagner des amitiés en Ethiopie, en Russie, en Arabie Saoudite, aux Emirats -ses hommes ont combattu au Yémen et en Libye. Il affirme défendre les civils et cherche à se rapprocher de la jeunesse en étant très présent sur TikTok – les deux tiers des Soudanais ont moins de trente ans. Burhane, bien que proche des Frères musulmans, se pare de la légalité et entretient de bonnes relations avec l’Egypte de Sissi. Il a renoué avec Israël sous les auspices des Etats-Unis.
Pouvoir, économie, influence : la rivalité, totale, peut mener à la guerre civile un pays qui a pourtant d’autres soucis, enfoncé dans une crise profonde. La faim tue tous les jours. 15 des 45 millions d’habitants souffrent de malnutrition. La récession est totale et l’inflation énorme : 352% en 2021.