Qui est Kais Saïed, ce candidat à la présidence? Un inconnu, inclassable à la fois populiste et conservateur, hiératique et « robocop », peu friand des médias et préférant l’arabe classique… Pour déchiffrer l’homme, percer le mystère, les observateurs s’intéressent à Ridha Chiheb Mekki, dit « Ridha Lénine ». Il vient de l’extrême gauche, a été proche de Chokri Belaïd quand il était étudiant, a fondé le Wataj anti frères musulmans… Très vite, il apparaît qu’il serait l’inspirateur du candidat et l’on parle de « maître à penser », de « tête pensante », d' »éminence grise ». On fouille un peu et l’on se souvient d’un entretien accordé à notre confrère Mourad Sellami du Quotidien, en mai 2011. Des propos d’une actualité saisissante au lendemain de la prise de pouvoir de l’élu d’octobre 2019: » L’expression de la révolution n’est pas encore construite. Elle est en cours d’édification. Laissons au peuple le temps qu’il faut pour aiguiser ses armes. Laissons du temps au temps. Le peuple tunisien a toujours fait preuve de patience. Il n’est pas encore satisfait ». Il est pour un État social, des élections à toutes les échelles mais, avant tout, une redistribution des compétences entre le central et le régional, au profit des régions. Refusant toute étiquette idéologique, il conclut: « « Il se pourrait que je sois en train d’exposer la volonté du peuple. Je n’ai aucun intérêt personnel. J’ai grandement confiance dans la volonté et le potentiel de ce peuple. Il attend. Il réagira en temps voulu « . En novembre de cette même année 2011, le fondateur des Forces tunisienne libres lance sur la page officielle de son site: « Levez-vous car vous êtes les seuls capables de provoquer le changement radical de la gouvernance et de la société ». Et il affirme qu’il existe « des groupes de réflexion et d’action répartis dans tout le pays pour la construction d’un projet, meilleur et révolutionnaire ». Il répète qu’il est antisystème et contre toute organisation partisane classique. Jamais, il ne déviera de cette ligne. Par exemple, dans la matinale de Shems TV du 5 septembre 2019, en pleine campagne présidentielle, il propose « des élections d’assemblées locales dans chaque délégation, sur la base individuelle, qui doivent être parrainées et investies par des électeurs ». Souvenez-vous, ces mots cités plus haut, Kais Saïed les a fait siens, les a répétés aux Tunisiens, aux jeunes. Comme Ridha Lénine, son mot clé a été « achaâb yourid ». Ce que le peuple veut, le président et son inspirateur le veulent, le feront. Ni l’un ni l’autre ne diront comment, n’expliqueront la manière dont un nouveau système de gouvernance du bas vers le haut se mettra en place, ni son mode de financement. Interrogé par Borhène Bsaies en décembre 2019 sur Ettasia TV, Ridha Lénine esquivera la question.
Et l’on en vient au 22 juin dernier: les deux amis se rencontrent au palais présidentiel. Kais Saïed confie à son « frère, ami et compagnon de route depuis des décennies » que « les obstacles étaient nombreux, plus qu’il ne l’imaginait, au sein des appareils en place, envers les idées et principes qu’ils avaient défendus pendant sa campagne électorale ». Il faudrait donc accorder au peuple les outils juridiques pour réaliser ce qu’il veut. En décembre 2019, interrogé sur Shems TV à propos du chômages des jeunes, il avait déjà répondu: « on leur donnera le pouvoir »…
Mardi dernier, Ridha Mekki « Lénine » triomphait: « Il n’y a pas de dialogue avec les voleurs qui se cachent derrière les textes, pas de dialogue avec ceux qui maîtrisent la politique et ont été rejetés par le peuple… Le seul dialogue est avec les membres de notre patrie… » Comment? Quand? Mystère. Le président ne s’explique pas plus et se contente, lui aussi, d’une attaque contre les corrompus en application du « droit du peuple »…