« Il a fallu jouer au chat et à la souris avec la police » témoigne l’envoyée spéciale de Franceinfo dans la région de Sfax, Agathe Mahuet: « la Tunisie n’autorise pas actuellement les journalistes à couvrir ces questions migratoires ».
Elle raconte : « il y a encore une semaine, des centaines de migrants subsahariens dormaient dehors, en plein centre, sur des places publiques ou des ronds-points. Mais dimanche 17 septembre, à l’aide de blindés, les autorités ont chassé au moins 500 migrants, les ont fait monter dans des bus en donnant aux habitants de Sfax l’illusion que la crise était réglée ».
En réalité, ils ont été laissés au milieu des champs d’oliviers où plusieurs milliers de Subsahariens ont été conduits au grand dam des habitants, notamment ceux d’El Amra qui hésitent à parler. Les candidats au départ font des petits boulots pour payer le passage, « de 2500 à 3000 dinars ». Là, ils sont plus près des bateaux.
“Avec cette opération d’évacuation, les autorités ont donc rapproché de la côte des centaines d’hommes prêts à partir”, dénonce Romdhane Ben Amor, le porte-parole de l’une des rares ONG locales acceptant de s’exprimer, le Forum tunisien des droits économiques et sociaux : « C’est une manière indirecte de repousser les migrants pour aller prendre les bateaux, au profit des réseaux de passeurs, très actifs dans ces localités. C’est aussi pousser ces migrants loin des yeux de la société civile ou des médias pour faire des expulsions vers les frontières algériennes ou bien libyennes. »
La Tunisie, conclut la journaliste, traverse en effet une crise profonde avec un tour de vis du président Kaïs Saïed, à la tête d’un État sécuritaire qui empêche les médias, même tunisiens, de travailler.
Dans le journal français La Croix de mercredi, le député européen (Renew) Bernard Guetta estime que la démarche envers la Tunisie « est bonne, même si le cas spécifique est discutable ».
« Dans la négociation avec le président tunisien Kaïs Saïed », l’ancien journaliste affirme que « nous nous montrons beaucoup trop faibles vis-à-vis de lui, alors qu’il exerce sur l’UE un chantage d’un cynisme et d’une brutalité inacceptables. Il veut que nous colmations les brèches qu’il a créées dans le budget et l’économie tunisienne. Et en même temps, il laisse délibérément s’organiser des départs massifs vers les côtes italiennes, et notamment vers Lampedusa, de jeunes Tunisiens et Africains du Sahel ou ressortissants de l’Afrique de l’Ouest. Il ne faut pas nous laisser intimider par ce chantage et savoir dire « non » quand c’est nécessaire. » Il note toutefois qu’ « il faut bien reconnaître que les marges de manœuvre de l’Union européenne se réduisent, car il est difficile d’exiger d’un gouvernement à la fois qu’il respecte les droits de l’homme et qu’il contrôle les flux migratoires ».
Pour Bernard Guetta, « nous devons donc traiter avec le régime tunisien, ainsi qu’avec un certain nombre d’autres régimes semblables, tout en étant conscient qu’on ne peut le faire sur la base d’une relation de confiance… mais sur celle de rapports de force ».
Dans le même journal, Romdhane Ben Amor affirme que « la politique choisie par les autorités tunisiennes pour lutter contre ce qu’elles appellent les “migrations non réglementaires” se résume en un mot : la répression. Pour lui, le mémorandum n’aura pas d’effet automatique tant la volonté de rejoindre l’Europe est forte.
Par ailleurs, dit-il, « l’application de ce mémorandum pourrait menacer l’État de droit en Tunisie, en donnant une légitimité à un régime qui ne stigmatise plus seulement les partis politiques mais aussi la société civile, et qui criminalise la solidarité avec les migrants. Cela va donner un élan pour élaborer d’autres initiatives répressives, surtout envers cette société civile qui exprime son soutien aux migrants.
Le porte-parole du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux dénonce « les pratiques sécuritaires de l’UE » qui « poussent toujours les migrants à choisir de nouvelles routes ». « La responsabilité »,ajoute-t-il, « est certes européenne, avec ces politiques visant à entraver les mobilités humaines. Mais la Tunisie a aussi contribué à créer cette crise, en instaurant un racisme d’État après le discours du 21 février.”