Le Premier ministre désigné Saad Hariri était-il à Baabda aujourd’hui pour présenter son gouvernement au président Michel Aoun qui l’avait demandé? Oui, à 15 heures, mais ils ont seulement décidé de se revoir lundi. Désigné, il y a sept mois après la démission de Hassan Diab quelques jours après l’explosion tragique du 4 août, le leader sunnite piétine et le pays poursuit sa descente aux enfers sans que la classe politique se soucie de la population en colère qui a de plus en plus de mal à vivre.
Mercredi soir, dans un discours non annoncé, le président Aoun a mis Hariri au pied du mur: soit il vient à Baabda pour former immédiatement le nouveau gouvernement, soit il cède la place. Le Premier ministre désigné n’avait pas tardé à répondre qu’il était prêt à venir pour discuter de la liste de noms remise au président depuis des semaines. S’il refuse, avait-il poursuivi, il devra expliquer pourquoi il l’empêche d’agir pour « sauver » le pays et qu’il faudrait alors pour « mettre un terme aux souffrances » des Libanais « prévoir une présidentielle anticipée ».
Saad Hariri veut former un gouvernement de 18 ministres technocrates indépendants dont le but sera de procéder à des réformes profondes et indispensables pour obtenir des aides du FMI et le soutien des alliés occidentaux, Michel Aoun estime que ses propositions ne respectent « ni l’équilibre national ni la constitution ». En réalité, chaque camp veut maintenir et garantir ses avantages qu’ils soient politiques ou économiques. Ainsi, les chiites du Hezbollah et d’Amal, alliés au Courant patriotique libre d’Aoun et de Gebran Bassil, son gendre, qui semblent avoir sécurisés leurs portefeuilles s’opposent aux réformes qui touchent au secteur du transport, de l’électricité et de la santé car ils pourraient perdre d’un milliard de dollars par an… Avec le CPL, Aoun exige de nommer les ministres chrétiens et une minorité de blocage d’un tiers. Ils se rangent du côté de leurs alliés du 8 mars par intérêt et crainte de se voir dépasser dans le camp chrétien par la brigade Marada des Frangié.
Amal, formation de l’inamovible président de la chambre des députés Nabih Berri a beau jeu d’appeler à la formation d’un gouvernement « sans tiers ni quart de blocage » et de juger inadmissible que les responsables se livrent à des « règlements de comptes » alors que le Liban « est confronté à des risques qui menacent son existence même » et d’affirmer que le pays « n’est pas un héritage familial », il est comme les autres dirigeants soucieux avant tout de ses prérogatives, des revenus que lui assurent sa position. Le camp Hariri est soupçonné de manipulations des cours pour faire baisser la livre afin de mettre la pression sur ses adversaires…
Dans ces propos, une vérité: la situation dramatique. Dans son discours, Michel Aoun l’a bien décrite: » à l’épidémie qui persévère et dure se sont ajoutés la pauvreté, la misère, le chômage, l’émigration, la perte du pouvoir d’achat en raison de la hausse insensée du dollar américain par rapport à la livre libanaise, les pénuries de produits essentiels ». On se bat dans les supermarchés pour de l’huile ou du lait en poudre, produits encore subventionnés.
De nombreux chiffres illustrent l’enfer quotidien vécu par de nombreux Libanais. La livre a perdu près de 90% de sa valeur. Si le taux officiel reste de 1.507 livres pour un dollar, au marché noir il avoisine les 15.000 livres pour un dollar. 55% des plus de quatre millions de Libanais vivent sous le seuil de pauvreté avec moins de 3,84 dollars par jour, selon l’ONU. La part de la population vivant dans l’extrême pauvreté est montée à 23% (ONU). 35% des foyers interrogés ont réduit le nombre de repas quotidiens, selon une étude réalisée fin 2020 par le Programme alimentaire mondial (PAM) et la Banque mondiale. Fin 2020, l’inflation annuelle atteignait 145,8%, selon des statistiques officielles. Les prix des produits alimentaires ont quintuplé en un an. Au taux officiel, le salaire médian équivaut à environ 630 dollars. Au marché noir, c’est désormais un peu plus de 60 dollars. Quant au salaire minimum, il vaut désormais environ 45 dollars.
Le discours mercredi soir, malgré les divisions de la classe politique, les questions d’ego, d’intérêts et de préséance, a fait bouger les choses. « Il y a une opportunité qu’il faut saisir » a déclaré le Premier ministre désigné en quittant le palais présidentiel.