Soyons clairs dès le début: cette révolution tunisienne qui entame aujourd’hui sa seconde décennie, a débuté par un énorme malentendu par lequel les gens ont cru, ou on leur a fait croire, que Ben Ali parti, la belle vie allait aussitôt commencer pour tout le monde. Que toutes leur difficultés allaient disparaître, que l’argent allait couler à flots, que les portes de la prospérité allaient s’ouvrir pour tous, et qu’il suffirait de demander.
Alors on a arrêté de travailler. Et au dur labeur dans l’usine, le champ, la mine ou même l’administration, on a substitué la manifestation revendicative.
C’est plus facile, plus récréatif et plus rentable. Et c’est logiquement qu’ont éclaté les mouvements sociaux avec leur lot de grèves, de sit-in, d’occupations des lieux de travail, de blocage des routes. Devenus notre pain quotidien, ces mouvements sociaux ne se comptaient plus. On a compté quand même que pour le seul mois de novembre de l’année dernière, quelques 1025 mouvements de protestations sociales se sont produits dans le pays. Un chiffre qui donne le tournis.
Face à cette interminable lame de fond, l’Etat, représenté par des gouvernements instables et sans forte assise politique, n’arrêtait pas de céder et de reculer.On accordait augmentation sur augmentation. Mais plus on augmentait les salaires, plus la vie devenait plus chère. Forcément, puisqu’on on ne travaillait plus ou presque, et que l’on ne produisait rien ou pas grand’chose. Jugez donc: la moyenne de la quantité extraite de phosphate des années 20 du siècle dernier était égale ou supérieure à celle des dix dernières années! Un cercle vicieux s’est alors vite formé et refermé autour de notre réalité économique et sociale.
Les mots magiques si chers autrefois au feu Hedi Nouira ont purement et simplement disparu et pendant dix ans de révolution on n’a plus entendu parler de « production »,et encore moins de « productivité ».
Conclusion: pendant dix ans les gouvernements ont donné ce qu’ils n’avaient pas, amenant leurs citoyens à vivre au dessus de leur moyens, et à vivre mal, en plus. Bien sûr, le bilan de la décennie est loin d’être négatif. Les Tunisiens ont appris le goût de la liberté. Ils ont repris confiance en eux. Ils ont conjuré la peur. Ils ont appris à s’exprimer, à revendiquer et à exiger des comptes aux responsables.
C’est une société nouvelle tunisienne qui est en train de naître, autrement bien plus apte à répondre aux exigences du monde de demain. Oui, il faut être optimiste, car c’est le sens même du choix démocratique, qui parie sur l’homme et fait confiance à ses capacités de corriger sans cesse ses choix et de les améliorer.
Aujourd’hui donc, une nouvelle décennie de la vie de notre révolution commence, avec un défi majeur à relever: remettre le s Tunisiens au travail. Leur faire admettre que sans le travail, la production et la productivité, il n’y aura bientôt plus de liberté, plus de démocratie.