Dakar sous haute surveillance, des blindés aux carrefours et endroits stratégiques après les affrontements d’hier provoqués par arrestation du principal opposant, Ousmane Sonko alors qu’il se rendait à une convocation judiciaire à propos d’une accusation de viol qu’il nie avec vigueur. Une affaire qui pue la politique, le règlement de comptes.
Il y a trois semaines, peu après le déclenchement de l’affaire, l’ancien président Abdoulaye Wade donnait son sentiment: « Sonko a été piégé par un adversaire puissant et futé qui connaît ses faiblesses. Je condamne cette façon d’éliminer un adversaire politique ». A 47 ans, à la tête du Pastef ( les patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), Ousmane Sonko apparaît comme l’opposant le plus influent le seul qui peut menacer Macky Sall, qui s’est déjà débarrassé de Karim Wade et de Khalifa Sall, lors de la présidentielle de 2024. Député depuis 2017, mais encore peu connu en 2019, il avait obtenu 15,67% des suffrages. Anti système, il dénonce avec virulence la mal gouvernance et la crise économique.
D’où vient cette affaire? Début février, une masseuse du salon dakarois Sweet beauty » accuse Sonko de viol. Musulman à la pratique stricte, Sonko nie et dénonce un complot, une procédure « viciée » et « illégitime ». Le 8, lors d’une convocation à la gendarmerie, ses partisans s’affrontent avec police, des personnes sont blessées, la maison d’un député incendiée… Ses partisans? Des jeunes urbains radicalisés qui estiment qu’ils n’ont rien à perdre, et aussi la diaspora. D’ailleurs, le Pastef a failli être dissous, accusé d’avoir collecté des fonds auprès de cette diaspora en prévision de la campagne, déjà commencée, de 2024.
Ousmane Sonko ne voulait pas se rendre à la convocation de la justice mais son marabout, Serigne Abdou Mbacké, l’a convaincu. Le député explique: « je n’ai pas voulu donner à l’adversaire la possibilité de créer des dossiers dans le dossier. Si je ne me rends pas à la convocation, la conséquence logique sera un mandat d’amener. L’armée qui serait envoyée ici pourrait rencontrer une résistance même si moi je ne résiste pas. Ils pourront me mettre sur le dos un autre délit, la rébellion ». C’est pratiquement fait même si le nouveau délit est « troubles à l’ordre public ».
Pourquoi? Ousmane Sonko ne se déplace pas seul, mais escorté de ses partisans. Son trajet était annoncé, son cortège filmé et la police l’a bloqué et a voulu lui imposer un autre chemin… Des affrontements, son arrestation et celle de plusieurs de ses fidèles. Dans la soirée, les heurts ont continué dans tout le pays et l’on a assisté dans la capitale à des scènes de saccages, de pillages, surtout contre des intérêts français comme les magasins Auchan ou des stations service Total. Des « scènes de chaos » selon la presse.Une violence des deux côtés que le gouvernement n’attribue qu’à l’opposition. Aux autorités qui affirment n’appliquer que la loi, Sonko répliquait avant son arrestation: « nous sommes préparés à la confrontation et j’invoque mon droit de résistance à l’oppression ».
Ousmane Sonko, jusqu’à présent, use de son droit au silence. Son accusatrice, Adji Sarr, qui serait « l’objet de menaces et d’insultes » selon son avocat, elle a beaucoup parlé au juge sans changer de version: « il m’a déviergé à deux reprises avant de me violer plusieurs fois ». Orpheline à sept ans, elle est passée par plusieurs familles d’accueil et sa réputation est plutôt mauvaise selon les enquêtes de la presse: elle est « têtue, bagarreuse, instable » et a connu beaucoup d’aventures. Selon des rumeurs, elle aurait été reçue par le président…Une collègue présente au moment où les faits se seraient déroulés affirme n’avoir rien entendu, rien remarqué. La patronne du salon aussi, mais la justice vient de lui interdire de parler. Ce matin, la coordination des associations de presse a dénoncé « les entraves manifestes à la liberté de la presse et au droit du public à une information plurielle ». Hier, des grenades ont été lancées vers les journalistes…
La crainte est réelle de voir la situation s’aggraver tant le pays semble divisé. La majorité fait bloc autour du président, dénonce le chantage exercé par Sonko sur les institutions et vante les progrès que le président apporte au pays. Demain, une marche nationale pour la défense de la démocratie est prévue, organisée par les partis d’opposition et des associations de la société civile. Au Sénégal et dans les pays voisins, la presse interroge: et maintenant?