Sanctions commerciales, exercices militaires à balles réelles : Pékin n’a pas tardé à prendre des mesures contre Taïwan à la suite de la visite de Nancy Pelosi. Si la présidente de la Chambre des représentants américains n’engage en rien l’exécutif américain, sa venue à Taipei constitue un revers sérieux, une humiliation pour Xi Jinping qui, après avoir tenté l’intimidation, a été obligé de réagir vivement. Le Japon et la Corée du Sud prennent les menaces au sérieux, mais, à vrai dire, le risque d’un embrasement est plus que minime. Même si le maître de Pékin doit se montrer fort, intransigeant vis-à-vis de Taïwan pour obtenir son troisième mandat cet automne lors du congrès du parti communiste. Il n’a pas que des amis.
Ces représailles, qui ont pour but de montrer la détermination de la Chine, maintiennent la pression sans être signe de guerre prochaine. Pékin est fermement décidé à récupérer Taïwan, mais sans brûler les étapes. Tout doit être réglé au plus tard en 2049, pour le centième anniversaire de la création par Mao de la République populaire de Chine. A cette date, c’est écrit, la Chine sera la première puissance mondiale et aura repris Taïwan, perdu au cours du « siècle de l’humiliation » qui a pris fin en 1949.
La majorité des experts militaires et politiques estiment qu’une invasion militaire est probable mais ils divergent sur la date. Selon le chef de la CIA, la Chine tire en ce moment des leçons du conflit déclenché par la Russie qui la rendent prête à utiliser la force contre l’île. « Il nous semble que (la guerre en Ukraine vue par Pékin) n’affecte pas vraiment la question de savoir si les dirigeants chinois pourraient choisir d’utiliser la force contre Taïwan dans les prochaines années, mais quand et comment le feront-ils« , a déclaré le patron de l’agence de renseignement américaine Bill Burns il ya quinze jours. Un amiral américain penche pour 2027, un autre analyste pour 2030. Ce qui est certain, c’est que Pékin voit l’attaque russe contre l’Ukraine comme un « échec stratégique » et que sa préparation à une invasion sera minutieuse. Pas évident de débarquer dans une île très bien défendue et éloignée de 180 kilomètres. Il faudrait quelque deux millions de soldats transportés par une flotte aussi gigantesque qu’ éphémère et des « amis » qui contrôlent les ports. Cette préparation est en cours. N’oublions pas que la Chine est le premier partenaire commercial de Taïwan avec des échanges florissants et que des compagnies chinoises ont des intérêts dans les ports de l’île.
Pékin a longtemps cru que les Etats-Unis et l’Occident se contenterait de condamnations verbales, de sanctions économiques en cas d’invasion armée. Ce temps pourrait être révolu : à la question de savoir si les Etats-Unis défendraient militairement Taïwan, Joe Biden a répondu que « c’est l’engagement que nous avons pris ». De la rhétorique car, le président américain sait que sous son mandat, il ne devrait rien se passer. Confronté à son principal défi, le vieillissement de sa population et donc une perte de ses moyens de développement, la Chine de Xi a besoin de commerce, de prospérité, de croissance, d’accumulation de capitaux dans le monde, pas de guerre. C’est le but principal des nouvelles routes de la soie, l’opération « one belt, one road » lancée en 2013 pour conquérir le monde et, au besoin, faire tomber l’Afrique dans le piège de la dette.
Ni la Chine ni les Etats-Unis n’ont intérêt à ce qu’un conflit éclate. Bien sûr, ce nouvel accès de fièvre est un épisode de plus dans le ”match entre démocraties et régimes autoritaires” qui peut mal se terminer. Ou connaître dans le cas de Taïwan une issue pacifique : le maintien prolongé du statu quo avec des liens plus étroits ou une réunification de façade qui garantirait à l’île une large liberté, pas comme à Hong Kong.
Pour des géopoliticiens, on est aujourd’hui entre le piège de Thucydide et le piège de Kindleberger. Le premier voit une guerre entre la puissance hégémonique et la puissance montante ; dans le second, la puissance émergente n’arrive pas à combler le fossé qui la sépare de la puissance dominante en retrait. Xi Jinping répète depuis des années : l’Occident est en déclin, l’Orient monte…