Quelle mouche a donc piqué Youssef Chahed pour se fendre d’une telle vidéo sur son compte Facebook et appeler, avec autorité, presque ex cathedra, à des élections générales anticipées? D’autres pourraient bien le faire-et certains l’ont déjà fait-, mais pas lui.Ah non, pas lui!
D’abord parce qu’il y a à peine une année il était au pouvoir. Et même qu’il avait tous les pouvoirs. Plus encore: il y est resté quatre longues années, soit donc la période la plus longue qu’un président de gouvernement ait eue depuis les élections de 2014.Ce qui veut dire qu’il est, de toutes les façons, comptable de toutes les bonnes promesses qui avaient été faites, et est, aujourd’hui, dans une large mesure,responsable de la situation économique et sociale, mais aussi politique qui prévaut. Et le moins que l’on puisse dire là, c’est que n’est pas très brillant brillant.
Ensuite parce qu’il a joué et n’a pas gagné. Un échec cuisant à la présidentielle et un petit résultat aux législatives. Il n’y a pas de quoi pavoiser. Youssef Chahed avait tout pour réussir: le pouvoir offert sur un plateau par un Béji Caïd Essebsi voulant jouer la carte du grand changement pour sauver et son mandat et son parti, la jeunesse qui lui donnait une allure jurant avec son prédécesseur Essid, et un allié de taille: Ennahdha, plus soucieux de sa pérennité que d’intervenir directement dans la gestion politique directe.
Et le plus surprenant, c’est qu’avec tous ces atouts Youssef Chahed a échoué. Parce que s’il a réussi il aurait gagné. Et s’il a réussi, on l’aurait su. Quatre erreurs fatales commises par l’ancien président du gouvernement ont causé son naufrage.
La première est d’ordre politico-économique et a trait à l’ambiguïté qui a marqué ses choix et qui l’a accompagné tout au long de l’exercice de ses hautes responsabilités. Droite, gauche, libérale, sociale…?Donnant tout le temps l’impression de ne savoir où aller, Chahed a fait preuve d’un manque total de visibilité qui a fini par faire se retourner tout le monde contre lui, et notamment la Centrale syndicale.
La seconde a été d’affronter le vieux Président Essebsi en montrant, par excès d’orgueil, qu’il pouvait aller seul à ce combat et sans s’entourer de solides partisans. Tant et si bien qu’à la fin le différend, est devenu une affaire d’ego entre le le vieux bienfaiteur et son jeune protégé, et l’on a vite fait de crier à la trahison, voire à la félonie.
La troisième erreur réside dans l’approche suivie par Chahed pour la création de son parti Tahya Tounes. Lancée dans la précipitation, cette création devait réaliser trois objectifs qui n’étaient pas réunissables, savoir: maintenir la coalition politique pour empêcher le gouvernement-et donc Youssef- de tomber, refonder Nidaa Tounes, et préparer les élections. Des trois objectifs, seul le premier sera réalisé.
La quatrième erreur pourrait être assimilée à un péché de jeunesse. C’est cette insolente vanité nourrie par son petit cercle de conseillers admirateurs, dans laquelle le plus jeune chef de gouvernement de l’histoire tunisienne est tombé, et avec laquelle il est entré en campagne, quasi certain qu’il allait remporter le jackpot en gagnant les clés de Carthage et de la Kasbah réunies.
Et la question maintenant: quel Youssef Chahed avons-nous aujourd’hui?
Dans la bonne tradition démocratique, un ancien grand responsable qui veut faire son come-back, se doit d’abord de présenter un solde de tout compte avant de repartir de l’avant. Une autocritique sous forme d’un livre, aurait été un bonne chose. D’autant que tout le monde sait que l’homme est seul, que son parti est une coquille vide après la débandade des opportunistes venus en nombre, alléchés par la fausse odeur de la victoire, qu’il n’a point d’appui régional après sa rupture d’avec Ennahdha, et que la boite noire de son parti lui a fait fausse route…
Quel retour donc peut envisager le toujours jeune Youssef Chahed? Avec quel projet?Quelle stratégie?Quels moyens?Si l’on juge par sa récente vidéo, l’homme aura tout intérêt à se calmer, à être plus attentif aux vrais signaux que lui renvoie la rue et non pas aux flagorneries de ses copains dans les médias commerciaux.
Il serait enfin bien inspiré de méditer ce vieux dicton portugais: « le temps se venge toujours des choses faites en son absence ».