Par Hatem Bourial
Cette fin de semaine, la Tunisie accueille un grand rendez-vous international. La Conférence de Tokyo pour le développement de l’Afrique (TICAD) aura, en effet, lieu dans nos murs avec la participation d’une cinquantaine de pays africains dont la plupart seront représentés au plus haut niveau.
Née au Japon, il y a trente ans, la Ticad a vu le jour afin de mettre en place un mécanisme de développement en Afrique. Depuis 1993, chaque trois ans, la Ticad se réunit pour définir et déployer des stratégies d’investissement sur le continent africain. Au fil des décennies, cette conférence internationale s’est considérablement consolidée avec notamment deux initiatives que nous devons à Shinzo Abe, l’ancien Premier ministre du Japon, récemment décédé dans des conditions tragiques.
En effet, Abe a pris l’Initiative « Indo-Pacifique libre et ouvert » conçue comme un espace de rapprochement des continents asiatique et africain. Il est également à l’origine de l’Abe Initiative qui offre de nombreuses opportunités en matière de formation.
Depuis 2016, la Ticad a lieu selon une rotation qui permet à une ville africaine puis une autre japonaise d’accueillir la conférence. Ainsi, après Nairobi 2016 et Yokohama 2019, c’est au tour de Tunis 2022. L’événement aura donc lieu les 27 et 28 août au Palais des congrès avec un sommet gouvernemental auquel assistera Fumio Kishida, le premier ministre du Japon, ce qui en soi constitue une première dans les relations bilatérales entre nos deux pays.
La Ticad sera ainsi pour deux jours un grand forum de l’investissement japonais en Afrique avec une énorme opportunité pour la Tunisie de constituer une plateforme durable pour les réseaux d’échanges et de coopération entre le Japon et l’Afrique. Idéalement situé, riche en compétences, notre pays se doit de saisir cette chance.
Je sais devenir intarissable quand il s’agit du Japon. Le pays du Soleil-Levant est entré dans ma vie l’année du baccalauréat. L’archipel nippon était alors au programme et il fallait être incollable à son propos. C’est, donc, depuis, que Honshu, Hokkaido, Kyushu et Shikoku sont devenus des toponymes familiers. Également au programme, le milieu naturel, l’industrie et l’agriculture faisaient également partie du cours et nous avaient fait découvrir plusieurs réalités de l’archipel nippon. La littérature et le cinéma feront le reste pour nous initier à ce pays lointain.
Depuis, le Japon ne m’a plus jamais quitté et j’y ai souvent virtuellement voyagé. Fasciné par le haïku, j’ai souvent composé des vers inspirés de Buson, Issa ou Bashô. Féru d’histoire, j’ai souvent tenté de retrouver des correspondances symboliques entre la fondation de Carthage et celle, à peu près à la même époque, du premier empire nippon.
Au fil des livres, je suivais la naissance des capitales successives de Nara à Heian qui deviendra Kyoto, à Osaka puis Tokyo. Cette date du 9 novembre 1867 marque une véritable balise lorsque le dernier shogun Tokugawa remet ses pouvoirs au jeune empereur ouvrant la voie à l’ère du Meiji au cours de laquelle le Japon se mettra au diapason de la modernité.
Là encore, les parallèles avec la Tunisie qui s’ouvrait au réformisme m’avaient motivé dans mes modestes recherches. C’est à ce moment très excitant intellectuellement que j’ai découvert l’ambassade d’Iwakura en Occident. Ce périple d’une délégation japonaise en Amérique et en Europe n’allait plus me quitter et j’y trouvais matière à réflexion pour comprendre les chemins différents vers la modernité qui furent choisis par la Tunisie et le Japon.
Dans ce périple d’Iwakura, j’ai également trouvé matière à fiction car les possibilités imaginaires qu’ouvre cette hypothèse sont inépuisables.
À l’ombre du lointain Fuji-Yama et du Bou Kornine plus proche, je me laissais aller dans de mystérieux labyrinthes de beauté au son du koto, du biwa et du shamisen. La poétique, la lente chorégraphie et les gestes hiératiques des acteurs du no et du kabuki seront à l’origine d’autres intercessions. La langue japonaise qui s’écrit de haut en bas et de droite à gauche reste pour sa part, une équation à plusieurs inconnues.
C’est si loin le Japon et pourtant que de proximités. Il me suffit de mettre en regard des amulettes carthaginoises avec des masques japonais pour établir des similitudes. Avez-vous déjà regardé un gigaku dans les yeux ? Ces grands masques de danse sont saisissants de beauté et ont cette vertu insoupçonnée de me ramener à nos masques puniques.
Je pourrais bien sûr évoquer le shinto ou le zen, les cérémonies du thé et les jardins des mousses, les peintures verticales des kakemono et les artistes de l’époque Edu. Tant de repères qui peuvent paraître ésotériques au non-initié mais qui sont les fondements subreptices d’une culture immémoriale.
Nous en reparlerons ! Comme nous essaierons de comprendre certains mots en langue japonaise. Il m’arrive souvent de prononcer ceux de « satori » qui signifie « éblouissement » et de « nagori » qui évoque quelques nuances de nostalgie. Ce sont ces termes mystérieux que j’ai choisi pour mes collections de haïkus. Mais c’est une autre histoire.
Que de fois n’ai-je visité Tokyo par la pensée. Au pas de ces promenades mentales, je retrouve toujours deux temples qui sont au Japon, ce que la Zitouna ou la mosquée Okba sont à la Tunisie.
Le Senso-Ji est le plus ancien temple bouddhiste de Tokyo et date du septième siècle. On y pénètre par la porte du Tonnerre pour s’incliner devant l’autel de la déesse Kannon. Le Meiji-Jingu est plus récent mais semble intemporel. Sobre, indéfinissable, ce sanctuaire est entouré par une forêt ou les arbres se comptent par dizaines de milliers.
Mes pérégrinations mentales me mènent aussi vers deux musées qui disent toutes les facettes du Japon. Le Tokyo National Museum date de 1872 et conserve une collection de 120.000 pièces dont 89 trésors nationaux. Combien de journées faudrait-il pour arpenter les quatre pavillons de ce musée qui est le plus grand du Japon ? Le National Art Center offre un autre regard sur le Japon. On y découvre de grandes expositions distribuées sur trois niveaux. Ce musée se distingue par une façade en verre qui prend les contours d’une vague.
Et pourquoi pas un jardin ? Ueno Koen est le plus grand parc de Tokyo avec ses cinquante-trois hectares. Ses milliers de cerisiers en fleurs au printemps sont une merveille alors que les lotus en été y tapissent les étangs.
Rien n’est plus étourdissant que la fièvre des sakura, les cerisiers aux fleurs rose-pâle. Et désormais, de nombreux cerisiers ont été plantés en Tunisie.
Sans jeu de mots, la cerise sur le gâteau de la Ticad de Tunis sera aussi l’inauguration du jardin japonais de Montplaisir en marge de l’événement.
Ce jardin ouvert depuis quelques années a été réaménagé de fond en comble par les services de la ville de Tunis et accueillera bientôt les visiteurs.
Ainsi, désormais, si je cède à la nostalgie de Tokyo, je pourrai probablement aller chercher réminiscences et fulgurances, entre satori et nagori, dans ce jardin à l’heure de Tokyo.