Ce dimanche en Turquie, 61 millions d’électeurs votent pour élire maires, conseillers municipaux et muhtar, les chefs de quartier. « Mes dernières élections » a dit Recep Tayyip Erdogan qui ne peut plus, constitutionnellement, se présenter à la présidence, à moins que le Parlement ne déclenche des élections anticipées. Pour le reis, ce scrutin revêt une importance particulière, a un goût de revanche, de reconquête après la perte d’Istanbul, d’Ankara et de plusieurs autres grandes villes en 2019. C’est à partir d’Istanbul, dont il a été élu maire en 1994, qu’il a lancé sa carrière politique. Cette mégapole de plus de 16 millions d’habitants qui compte pour 30% du PIB du pays constitue le meilleur tremplin pour atteindre le pouvoir suprême.
Plus que le candidat qu’il a désigné, l’ancien ministre Murat Kurum, personnage peu charismatique et qui ne connaît pas bien la ville, c’est lui qui a mené campagne pour rameuter les partisans de l’AKP, parti de la justice et du développement. Comme à son habitude, il a accompagné ses promesses de menaces du genre : si vous ne faites pas le bon choix, vous n’aurez plus de crédits. Face à lui, le maire en place, Ekrem Imamoglu, du CHP, parti républicain du peuple, a vanté son bilan, les crèches, les cantines populaires, les nouvelles lignes de métro…
Tout ne s’est pas déroulé comme Erdogan l’espérait : les Turcs sont déçus et fatigués. Il a échoué à faire baisser l’inflation, elle reste à 67% en février – presque le double selon des économistes – et en ce mois de Ramadan, des produits de base comme l’huile d’olive, les abricots secs ou les figues sèches ont augmenté de plus de 150%. Les salaires, malgré les hausses, ne suffisent pas.
Depuis la présidentielle de mai dernier, le paysage politique a changé. L’AKP a perdu plus de 200 000 adhérents au profit du nouveau parti islamiste qui monte, le Yeniden Refah, nouveau parti de la prospérité. Un bon nombre d’électeurs veulent « essayer » ce nouveau parti de la prospérité qui assure que « nos maires ne recherchent pas le profit et sont du côté de la morale et de l’honnêteté ».
La coalition d’opposition de mai dernier s’est aussi divisée et à Istanbul, Ekrem Imamoglu n’est plus soutenu que par sa seule formation. Le DEM, parti de la démocratie du peuple – Kurdes de gauche- qui succède au HDP- présente ses propres candidats.
Plusieurs autres petits partis peuvent enlever des voix aux principaux candidats. Le résultat risque d’être serré, mais les derniers sondages accordent cependant la victoire à Imamoglu à Istanbul et à Mansur Yavas à Ankara.
Ce dimanche, les élections ne sont pas seulement locales, l’enjeu est national et concerne bel et bien la présidentielle de 2028.
Si les candidats de l’AKP reprennent Istanbul, Ankara, Izmir et autres grandes villes, ce sera la voie royale pour la « nouvelle Turquie » ultra conservatrice et nationaliste qu’Erdogan souhaite construire, avec creusement du fossé avec l’Europe. Les mains libres, Erdogan pourrait durcir son régime, écrire une nouvelle constitution.
Si Ekrem Imamoglu conserve sa mairie, il peut s’imposer comme le patron de l’opposition et le candidat à la présidence en 2028. On parlerait alors du déclin du Reis, d’une Turquie qui vise la modernité et la laïcité.