Menaces, désinformation et … grandeur : fragilisé comme jamais, Recep Tayyip Erdogan ne recule devant rien pour garder le pouvoir qu’il détient, Premier ministre puis président, depuis 2003. Vendredi, à Istanbul, il mettait en garde les électeurs contre « le prix à payer » et les possibles représailles car l’opposition est mue « par la vengeance et l’avidité ». Son ministre de l’Intérieur va même jusqu’à prétendre que la victoire de « la table des six » à laquelle s’est rallié le principal parti kurde, le HCP, équivaudrait à un coup d’Etat de l’Occident contre la Turquie et un de ses alliés d’extrême droite affirme que « les traîtres finiront en prison ou des balles dans le corps ».
Dans le même temps, il magnifie la puissance et l’influence que son pays a acquis grâce à lui. A son palmarès, il inscrit une centrale nucléaire inaugurée avec Poutine en visioconférence, un porte-hélicoptères, le premier avion de chasse supersonique, le Hürjet et une forte présence dans la région et en Afrique. Il a installé la Turquie dans la cour des grands. Et il promet aux Turcs que tout ira mieux s’il reste au pouvoir.
Il augmenté le salaire minimum de 55% , les fonctionnaires de 45%, les pensions de retraites ; il promet une banque pour les pauvres et les familles et … la fin de la prospérité si l’opposition l’emporte.
Pas avare non plus de promesses, ce candidat de l’opposition unie, la « table des six », Kemal Kiliçdaroglu, tient aussi des meetings, parfois perturbés, mais fait une campagne remarquée depuis sa cuisine où il disserte sur les oignons et les pommes terres, ingrédients alimentaires de base. Depuis des mois, les prix se sont envolés, multipliés par au moins six et le « Gandhi » turc prévient : si Erdogan reste au pouvoir, le kilo d’oignons passera de 30 livres à 100 livres. S’il arrive au pouvoir, « aucun enfant n’ira se coucher sans avoir mangé ». Et il envoie son slogan : pomme de terre, oignon, au revoir Erdogan ».
Kiliçdaroglu entend revenir au système parlementaire et affirme : « Même les gens qui ne pensent pas comme moi veulent la démocratie. Qui veut d’un leader avec un bâton à la main ? ».
Pour renverser l’ordre des choses, il compte sur le vote kurde et surtout la jeunesse qui, dit-il, a soif de liberté, loin du conservatisme islamique imposé par Erdogan. « Jeunes, c’est par vous que le printemps arrivera ». Ils seront, demain 14 mai, 5,2 millions de primo votants parmi les 64 millions d’électeurs appelés aux urnes. Seuls 20% des 18-25 ans votent pour le sultan et son parti, l’AKP. Les jeunes, les moins de trente ans tiennent peut-être les clés du scrutin. Avec les femmes. Beaucoup d’entre elles n’ont pas accepté que leur pays se retire, il y a deux ans, de la Convention d’Istanbul qui les protégeaient des violences domestiques. Et elles sont en première ligne face à l’inflation qui a diminué en avril à 44% – 105% en réalité selon les économistes indépendants – et ne croient plus à la promesse d’Erdogan de la ramener à un chiffre dans les deux ans.
Autre clé du vote : les déplacés du tremblement de terre du 6 février. Ils sont plusieurs millions et certains d’entre eux accusent toujours le pouvoir : lenteur des secours, immeubles effondrés en raison de défauts de constructions dus à la corruption… Comment voteront-ils ? L’administration, aux mains d’Erdogan, fera-t-elle voter les morts ?
De nombreuses questions et incertitudes subsistent donc dans cette Turquie fortement polarisée. Les connaisseurs du pays confient que 24 heures dans la vie politique turque équivalent à 24 jours dans un autre pays. Une manière de dire que tout peut arriver et qu’il ne faut pas forcément croire aux sondages qui continuent de donner l’avantage à Kemal Kiliçdaroglu. Avec le retrait vendredi de Muharrem Ince, crédité de 3% des suffrages, l’opposant pourrait passer dès le premier tour. Les législatives sont tout aussi indécises. Aucun camp n’obtiendrait la majorité absolue.