Il y a trois mois, quand Poutine a lancé ses forces à l’assaut de l’Ukraine, ceux, nombreux, qui avaient pris les menaces pour du bluff, ont été surpris et les généraux ont occupé les plateaux de télévision pour expliquer que l’ours allait broyer le pays de Zelensky, ce comédien mal aimé des siens qui l’avaient pourtant largement élu, trois jours allaient suffire pour le déloger et faire tomber Kiev. Le temps passait, les bombes tombaient, des civils mourraient et l’Ukraine résistait avec à sa tête un président qui se révélait plus grand que prévu.
Tous les jours, il appelait l’Occident à l’aide, réclamait des armes, des armes, encore des armes, toujours plus d’armes. Et des sanctions fortes, immédiates pour contrer le maître du Kremlin. Les armes arrivaient, les sanctions commençaient à faire mal et, implicitement, à la mi-avril, Poutine reconnaissait que son « opération spéciale » était en difficulté, en indiquant qu’il allait poursuivre la guerre « calmement », certain que tous ses objectifs seraient atteints. En réalité, ils avaient changé : Kiev n’était pas tombée, l’Ukraine ne cédait pas, ne pouvait être « prise ». Il se « contentait » du Donbass et établissait une continuité territoriale entre ces régions dont il avait reconnu l’indépendance et la Crimée, voire la Transnistrie moldave.
L’armée ukrainienne étonnait et les généraux commentateurs occidentaux commençaient à croire à une possible victoire du petit sur le grand, loin d’être le géant annoncé. 15 000 soldats tués, un tiers des forces engagées hors de combat, des centaines de chars détruits ou capturés comme d’autres matériels. Dirigée par le « boucher d’Alep », le général Dvornikov, les forces russes se concentraient sur le Donbass à coups de bombardements aveugles pour faire peur et fuir. Un seul front car Moscou n’a plus assez d’hommes et doit économiser les matériels… Mais aujourd’hui, les optimistes du mois dernier estiment que les Ukrainiens n’ont pas les moyens de contre-attaquer et voient les Russes grignoter lentement mais sûrement. Au mieux, des lignes qui vont se stabiliser et l’enlisement, le gel du conflit. Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, admet que la guerre va durer mais que Moscou, qui a perdu la bataille de l’information, la gagnera.
L’armée ukrainienne tient grâce à l’aide occidentale, mais il semble plus qu’improbable qu’elle puisse chasser les Russes du Donbass et de toutes les régions conquises dans le sud-est. Tenir est déjà une grande victoire qui se prolonge et se prolongera en fonction de l’aide qui sera envoyée. Six mois, un an, des années ? Le temps joue pour Moscou. Volodymyr Zelensky répète que le conflit se terminera autour d’une table de négociations, mais quand son homologue russe acceptera-t-il de s’y asseoir ? Et l’on en revient aux objectifs de Poutine et à cette question cruciale qui divise : se contentera-t-il du Donbass ou, enfermé dans sa bulle révisionniste, avancera-t-il pour retrouver « la grande Russie » si on ne l’arrête pas. Beaucoup de spéculations.
Dans l’autre camp, celui des Occidentaux, même question : quels sont les buts de Biden, sont-ils les mêmes que ceux de l’Europe. Les Etats-Unis veulent affaiblir Poutine afin qu’il ne puisse jamais recommencer. Les Européens, Macron en tête, ne refusent pas une Russie diminuée, mais ne veulent pas l’humilier et souhaite toujours une nouvelle architecture de la sécurité en Europe bâtie avec Moscou Le plan de paix italien, semblable aux propositions françaises, que le Kremlin étudie actuellement.
La même question peut être posée à Volodymyr Zelensky : jusqu’où se battra—t-il ? Exagère-t-il ? Il est remarquable dans son rôle de défenseur de son pays, mais a-t-il réellement la carrure d’un homme d’Etat ? On le saura. Mais il ne faut pas oublier que le coupable, l’agresseur, s’appelle Poutine. Le 24 février, nul ne le menaçait.