Le sommet de N’Djamena doit être plus politique que militaire, car la lutte contre le djihadisme islamiste est aussi une question de gouvernance.
« Les résultats obtenus par nos forces au Sahel, conjugués à l’intervention plus importante de nos partenaires européens, vont nous permettre d’ajuster notre effort dans la zone des trois frontières, dans la lutte antiterroriste et autour des différents piliers définis à Pau : renforcer les capacités militaires sahéliennes, accroître notre emprise dans la lutte contre le terrorisme, consolider le retour des États dans les régions libérées et assurer une politique de développement pour les populations ainsi libérées du joug des terroristes. »
Ces propos tenus il y a quelques semaines par le président Macron décrivent, à peu de choses près, les thèmes qui sont abordés au sommet du G5 Sahel qui se termine aujourd’hui à N’Djamena. Il y a un an, à Pau, le sommet avait été axé sur le renforcement de la présence militaire française. 600 hommes de plus ont permis d’obtenir des succès militaires et un « bon » bilan : 128 actions militaires, entre 1200 et 1500 « combattants terroristes » neutralisés.
Cependant, ces résultats sont en trompe-l’œil et l’on peut reprendre ce que disait le patron des armées françaises, le général Lecointre au Sénat il y a un an, c’est-à-dire avant le « surge », le sursaut militaire: « Contrairement à nos hypothèses de planification, notre optimisme a été déçu et Barkhane n’a pas été accompagnée d’un retour de l’appareil d’État ni de la refonte efficace des forces armées, notamment maliennes ».
Dans sa dernière analyse de la situation au Sahel, le 1er février, International Crisis Group note en préambule: « L’approche actuelle n’a pas jugulé la crise sécuritaire, qui continue de s’étendre dans de nouvelles zones. Parallèlement, la frustration des populations vis-à-vis des gouvernements sahéliens s’accentue, comme l’illustrent les troubles qui ont conduit au coup d’État d’août dernier au Mali.
Si la France ne peut se désengager immédiatement – mais les effectifs vont être réduits -, si les menaces islamistes pèsent toujours très lourd, le sommet de N’Djamena est confronté à un problème plus politique que militaire. Rester, mais rester autrement. Après le « surge » militaire, un « surge »politique est absolument nécessaire.Pour en être convaincu, il suffit de se souvenir des causes des rébellions qui, peu à peu, ont conduit au djihadisme islamiste: la mauvaise gouvernance, la corruption, les détournements, l’abandon de certaines régions par un pouvoir soucieux avant tout de le garder, Et aussi, au Mali, comme au Burkina Faso et au Niger les tensions ethniques qui ont dégénéré. Le parcours du Malien Iyad Ag Ghali en témoigne: engagé dans les troupes de Kadhafi, il revient dans son pays pour déclencher la rébellion touarègue puis il rallie le gouvernement avant de replonger dans l’insurrection. Dans le même temps, il se tourne vers l’islam puis se radicalise.
Aujourd’hui, il est à la tête du GSIM, groupe se soutien à l’islam et aux musulmans, affilié à Al Qaïda, que l’état-major français appelle RVIM, Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans. Ses hommes se battent contre ceux du groupe État islamique, en perte de vitesse. Ils commettent des exactions, forcent des hommes, des jeunes à s’enrôler. Le RVIM pourrait s’étendre à des pays du Golfe de Guinée.
Par différents biais, l’Union européenne apporte une aide importante au développement. par exemple, l’Alliance Sahel créée en 2017 est dotée de 11 milliards d’euros et aura, en 2022, mené 730 projets. Mais il faut constater avec l’Élysée que l’action politique «est le chaînon manquant entre le militaire et le développement». Lors de ses interventions en visioconférence, Emmanuel Macron le répétera et insistera sur la gouvernance qui pousse les populations à la contestation. Et au rejet de la présence française vue comme un soutien à des gouvernements qui ne le méritent pas. D’ailleurs, si le président Macron n’est pas à N’Djamena, c’est, bien sûr pour des raisons sanitaires, mais aussi et surtout, pour ne pas braquer une population qui aurait interprété sa présence comme un soutien à Idriss Deby qui arrête les opposants, les condamne et brigue un sixième mandat consécutif. Deby ou un paradoxe sahélien: on le soutient car il est indispensable au plan militaire et incarne une certaine stabilité, on ne l’aime pas car, trop répressif, il a un côté dictatorial.