Xi Jinping a attendu le 25 novembre dernier pour féliciter Joe Biden en espérant que les deux pays «se concentreraient sur la coopération, géreraient les différences, feraient progresser le développement sain et stable des relations sino-américaine, une coopération gagnant-gagnant ». Au lendemain de l’élection, le quotidien nationaliste de Pékin Global Times avait été moins diplomatique en écrivant qu’avec le nouveau président, « la concurrence américaine et la méfiance envers la Chine ne fera que s’accroître ». Comme Trump, Biden considère que la Chine est le rival numéro un, mais il n’a pas la même approche. Celle du milliardaire était d’abord commerciale, un peu à la manière de Margaret Thatcher qui, en 1979, lançait à ses partenaires européens « I want my money back »; le nouveau président est plus « global » et vise l’endiguement de la montée en puissance de la Chine avec l’aide de ses alliés asiatiques et européens.
Les deux hommes se connaissent depuis des années. Vice- président d’Obama, Joe Biden est allé plusieurs fois à Pékin où il a observé le dirigeant qui montait jusqu’à devenir président en 2013. Des rencontres plutôt cordiales qui ont évolué vers une inimitié au fur et à mesure de l’affichage des ambitions chinoises, de la volonté de Pékin de dépasser les Etats-Unis.
Lors de leur premier entretien, le 11 février, Xi a affirmé à Biden, selon Chine nouvelle, que « la coopération est le seul choix correct pour les deux pays. La coopération peut aider les deux nations et le monde à accomplir de grandes choses alors que la confrontation est sans aucun doute un désastre ». Biden, lui, avait exprimé ses inquiétudes fondamentales » sur les pratiques chinoises dans tous les domaines, notamment en ce qui concerne les droits humains. Le lendemain, le président américain confiait à des sénateurs: « si l’on ne fait rien, ils vont manger notre repas, nous écraser ». Son opinion est faite: parlant de « compétition extrême » il décrit la Chine comme la plus grande menace pour la démocratie, le plus grand défi stratégique du XXIe siècle (…) Xi Jinping n’a pas une once de démocratie en lui ».
En sport, on parlerait de round d’observation, les deux rivaux se testent, montrent leurs muscles et leurs lignes rouges à ne pas franchir. Tout en affirmant qu’ils ne veulent pas de conflit. Lors de la session de l’Assemblée du peuple qui vient de se terminer, Xi, mardi, est monté d’un cran en déclarant que face à la situation « instable » et « incertaine », l’armée devait être « prête au combat pour sauvegarder résolument la souveraineté nationale ». Hier à Hawaï, le secrétaire américain à la Défense était sur le même créneau: estimant que « notre avantage concurrentiel s’est érodé », il a réclamé de nouveaux moyens pour « renforcer nos capacités et « créer une dissuasion crédible ». Avec nos alliés et nos partenaires.
Quatre jours avant le président chinois, son numéro deux au plan militaire, le général Xu Qiliang avait mis l’accent sur une possible confrontation: « face au piège de Thucydide et au problème de frontières, l’armée doit accélérer l’augmentation de ses capacités ». Thucydide avait théorisé le risque de conflit entre une puissance dominante et une puissance qui monte et conteste sa domination; il avait ainsi expliqué la guerre du Péloponnèse entre Sparte et Athènes, cinq siècles avant JC. En 2017, le chercheur américain en sciences politique Graham Allison a publié « Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le Piège de Thucydide? » 12 des 16 cas qu’ils étudient ont mené à la guerre.
Les deux camps ne cachent pas leurs profonds désaccords et la question se pose donc de savoir comment cela va se terminer, la coopération gagnant-gagnant ou le conflit? Nul ne veut la guerre…
Joe Biden ne veut pas lutter seul, mais avec ses alliés. Vendredi, le « Quad » -Etats-Unis, Australie, Inde, Japon » que la Chine présente comme une « Otan asiatique » s’est réuni en visioconférence pour discuter du covid et de l’influence croissante de Pékin. Jeudi, à l’issue d’une tournée au Japon et en Corée du Sud, le secrétaire d’État Antony Blinken, accompagné du conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan, rencontrera en Alaska, à Anchorage, son homologue chinois Wang Yi et le responsable du parti pour les affaires internationales Yang Jiechi. « Un dialogue stratégique de haut niveau à l’invitation des Etats-Unis, selon Pékin, pas un dialogue stratégique d’après Washington… Lloyd Austin sera lui en Inde. Les alliés, resserrer les liens face à la Chine…
Si l’on ne peut minimiser les aspects militaires, il faut souligner que la grande compétition, celle qui peut être déterminante, est, et sera, technologique. Durant la session de l’Assemblée du peuple, le PCC a dévoilé un plan quinquennal pour doubler les Etats-Unis dans la tech. Le pays va investir massivement dans l’éducation et la recherche tout particulièrement dans les secteurs de l’Intelligence Artificielle, des biotechnologies, semi-conducteurs et informatique quantique. Biden pourrait répondre par des investissements encore plus massifs pour garder une avance technologique. Les Etats-Unis s’efforcent aussi de créer avec tous ses alliés un front politique et technologique, « Democracy 10 » ou « Tech 10 », pour contrer les ambitions chinoises. Une « guerre » des puces, des semi-conducteurs, des machines à les fabriquer, des logiciels, des exportations de matériel. La firme néerlandaise ASML, est le leader mondial d’un processus critique de fabrication de puces. Trump avait déjà obtenu qu’une machine ne soit pas livrée à Pékin. Et il avait mis Huawei et SMIC, la plus importante usine chinoise de fabrication de puces sur liste rouge. Un coup dur que Pékin n’a pas digéré: vendredi, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères a appelé les Etats-Unis à cesser de « réprimer les entreprises chinoise et à les traiter de manière juste, impartiale et non discriminatoire ».
Il est clair que « les deux pays se battent pour développer les mêmes forces technologiques”. Un bras de fer…