En décembre dernier, Tadej Pogacar se confiait: « Aujourd’hui, tous ceux qui gagnent le Tour sont suspects à cause du passé de certains. Il y a tellement d’affaires qu’il est difficile pour les gens d’y croire. Nous les jeunes, on doit vivre avec ça… ». Le journal L’Équipe raconte que sa mère a voulu qu’il arrête le cyclisme: il dominait trop chez les juniors et elle avait peur: « Je savais bien que s’il allait plus loin, ils allaient vouloir le doper ». Son manager s’était engagé à le protéger. Aujourd’hui, il gagne, va vite, trop vite -mais tous les autres aussi- et le soupçon ne le lâche pas. Une constante? « La suspicion touche tous les coureurs qui règnent » affirme Bernard Hinault qui a gagné cinq Tours et retrouve avec Pogacar « le cyclisme à l’ancienne » avec « des explications d’homme à homme » dans les derniers kilomètres d’ascension. Eddy Merckx, lui aussi cinq fois vainqueur, ne tarit pas d’éloges sur le jeune Slovène et le voit déjà en gagner plus de cinq.
Des « explications » qui tournent toutes à l’avantage du coureur de l’équipe des Émirats. Lors de la huitième étape, Tadej Pogacar a développé une puissance de 442 watts durant 49 minutes de montée entrez les cols de Romme et de la Colombière, une performance qui ne dit rien aux non initiés mais qui dépasse les spécialistes qui rappellent que les coureurs qui avaient réalisé un exploit similaire, Basso, Indurain (blanchi) et Pantani ont tous été convaincus de dopage à un moment de leur carrière.
Au sein du peloton quelques coureurs, sous couvert d’anonymat, ont fait part de leurs doutes au quotidien suisse Le Temps. L’un d’entre eux doit avoir aperçu toute une équipe se cacher pour se désaltérer. A la question de savoir quelle était la boisson, un coureur a répondu qu’il ne savait pas ce qu’il buvait « mais que je n’étais pas le premier à lui poser la question. » Un de ces trois coureurs-enquêteurs dit entendre des bruits suspects dans le peloton: « Ça provient des roues arrière. Un bruit métallique étrange, comme une chaîne mal réglée mais je n’ai jamais entendu ça nulle part ». Un engin mystérieux, pas un moteur, c’est dépassé, serait caché dans le moyeu de la roue arrière… Comme en formule 1, il y aurait un récupérateur d’énergie dans les freins… La direction du Tour n’est pas sourde et, avant la 16e étape, elle avait fait procéder à 720 contrôles de vélos sans rien découvrir…
« ça me rappelle des mauvais souvenirs », regrette Jean-Pierre Verdy, ancien directeur des contrôles de l’Agence française de lutte contre le dopage. Il évoque la surmédicalisation et pense qu’un jour, tout sortira ». Au Journal du Dimanche qui lui demande « croyez-vous en Pogacar », il répond: » Non… C’est trop gros… On a l’impression qu’il ne se fatigue pas… L’avenir nous le dira, car, malheureusement, on découvre des choses des mois, des années après ». Quant à la perquisition chez Bahrain-Victorious, il déclare qu’une opération comme ça se prépare, l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique doit avoir des informations ». Jean-Pierre Verdy ne pense pas qu’il y ait davantage de dopage qu’à l’époque d’Armstrong ou même avant (le règne des amphétamines, la mort de Tom Simpson en 1967) car « c’était une tradition », mais « c’est plus sophistiqué ».
On a coutume d’affirmer que les trafiquants, les dopeurs ont toujours une longueur d’avance sur les enquêteurs, cependant les performances de plus en plus étonnantes réalisées dans tous les sports sont aussi le résultat de progrès techniques. Si l’on insiste sur les watts, la puissance, l’énergie développée par un coureur, c’est parce que maintenant des capteurs installés sur les vélos la mesure. Un entraînement bien conçu permet de la maîtriser, de l’améliorer, de savoir doser ses efforts. Votre vélo n’est pas celui du champion ni même celui d’un de ses coéquipiers. Il est souvent en carbone et chaque pièce est testée en soufflerie pour le plus parfait aérodynamisme possible. Un pli sur un vêtement fait perdre du temps tout comme la forme du bidon! Cela revient tellement cher que seuls les meilleurs ont droit à une machine personnalisée à l’extrême. En athlétisme, ce sont les pointes avec plaque en carbone qui font gagner secondes et dixièmes. Toutes proportions gardées, l’Espagnol Mohamed Katir est à l’athlétisme ce qu’est Pogacar au cyclisme, au moins en ce qui concerne l’amélioration incroyable de ses temps sur 1500 ou 5 000 mètres.
L’ancien « monsieur propre du Tour », Christophe Bassons, qui avait émis ses doutes au point de se faire insulter par Lance Armstrong et d’abandonner la Grande Boucle en 1999, avoue dans Le Monde de vendredi qu’il s’interroge, qu’il est circonspect: « Ce qui reste le plus surprenant pour moi, ce sont les vitesses. On a beau dire que Pogacar est devant, qu’il bat les records de puissance, etc., cela ne change rien au fait que, derrière, la globalité du peloton roule très vite. Il y a une énorme médicalisation du peloton, qui permet de rouler à une telle vitesse. Cela procure une bonne récupération, qui permet de prendre le départ chaque jour à quasiment 100 %, mais aussi de faire fonctionner le corps à 110 %-120 %… On est capable de faire tout cela sans pour autant rentrer dans le dopage (…) Cela étant, il y a des choses qui peuvent étonner : les puissances, l’encadrement de certains coureurs ( voir l’article « Soupçons sur le Tour de France » il y a deux jours, NDLR), le fait d’accumuler les prouesses de jour en jour ou le fait d’être multi terrain… C’est sûr que cela met le doute, mais peut-on dire que c’est dû à un dopage ? Une aide technologique ? Aujourd’hui, tu n’as théoriquement pas le droit de faire ce qui est interdit, mais finalement tout ce qui ne l’est pas est de fait autorisé ».