C’est manifestement un changement dans la vision des officiels américains des décisions du Président Saied du 25 juillet. Et c’est un changement aussi brusque que marqué qui laisse présager de grandes turbulences dans les relations historiques entre notre pays et les États-Unis d’Amérique.
Trois membres du Congrès viennent en effet de saisir le Département d’Etat en adressant au Secrétaire d’Etat Antony Blinken une lettre dans laquelle ils expriment leur inquiétude de la situation prévalant en Tunisie et demandent au Secrétaire d’Etat américain d’intervenir diplomatiquement mais fermement pour « garantir que le Président Saied rétablisse le pays dans une démocratie parlementaire conformément à sa constitution ».
Au passage, et pour donner du poids à leur missive, les trois membres du Congrès rappellent que les États-Unis « ont engagé plus de 1,4 milliard de dollars pour soutenir la transition de la Tunisie vers la démocratie… ».
Par ailleurs, et parmi les mesures qu’ils demandent au Département d’Etat de prendre, les signataires souhaitent savoir qu’il soit déterminé si le Président Saied a fait un coup d’Etat et, le cas échéant, enquêter sur ceux civils ou militaires qui l’auraient aidé.
Dans le souci de mieux informer ses lecteurs Tunisie-direct publie une traduction de cette lettre signée des trois congressmen que sont:Gérald E.
Connoly, Tom Malinowsky et Rashida Tlaib
Nous écrivons pour exprimer notre profonde préoccupation commune face à l’immense pression que le président Kais Saied a exercée sur la fragile démocratie tunisienne en imposant une crise constitutionnelle fabriquée. Nous demandons au Département d’État américain de prendre des mesures diplomatiques plus fermes pour garantir que le président Saied rétablisse le pays dans une démocratie parlementaire qui respecte l’état de droit conformément à sa constitution nationale.
En tant que démocratie naissante, la Tunisie est un partenaire régional important des Etats-Unis, vous le savez bien. Depuis leur révolution de janvier 2011, lorsque le peuple tunisien a renversé pacifiquement le régime dictatorial de Zine el-Abidine Ben Ali, les États-Unis ont engagé plus de 1,4 milliard de dollars d’aide pour soutenir la transition de la Tunisie vers une démocratie, selon un chiffre rendu public par le Département d’État en 2020. En 2019, les États-Unis et la Tunisie ont signé un accord d’objectif de développement bilatéral de cinq ans pour l’USAID afin de fournir jusqu’à 335 millions de dollars de soutien supplémentaire pour l’augmentation de l’emploi dans le secteur privé et la consolidation démocratique.
Le 25 juillet 2021, le président Saied a limogé le Premier ministre et le Parlement du pays. Le lendemain, il a ordonné un blocus militaire à l’entrée du Parlement et aurait depuis envoyé des agents en civil non identifiés pour arrêter et détenir au moins trois députés pour actes de « diffamation » et autres charges douteuses. Plusieurs parlementaires civils élus sont aujourd’hui confrontés à des tribunaux militaires. Les ministères cruciaux manquent de leadership approuvé par le parlement, et de nombreux services publics restent fermés, près de deux mois plus tard. Le 11 septembre, le président Saied a annoncé qu’il chercherait à amender la constitution, sans fournir de détails supplémentaires sur le contenu ou le processus qu’il entend poursuivre. Tout amendement à la constitution tunisienne nécessite l’approbation du parlement, qui reste « gelé » par Saied, ainsi que la Cour constitutionnelle, dont la création a été bloquée par des querelles partisanes.
Nous apprécions que l’administration Biden-Harris se soit prononcée tout au long de cette épreuve. Nous vous remercions d’avoir personnellement parlé avec le président Saied en juillet pour l’exhorter à ramener le pays « sur la voie démocratique ». Nous reconnaissons également que le mois dernier, le conseiller adjoint américain à la sécurité nationale Jonathan Finer a remis un message du président Joe Biden au président Saied en personne, « réaffirmant son soutien personnel, et celui de l’administration Biden Harris, au peuple tunisien et appelant à un retour rapide sur la voie de la démocratie parlementaire tunisienne. Ces messages de l’administration Biden-Harris au président Saied pour la sortie de cette crise et le retour de la Tunisie à la démocratie ont clairement établi la position des Etats-Unis.
Malheureusement, le président Saied ne semble pas répondre à ces appels diplomatiques, ni à la pression croissante des citoyens tunisiens et des organisations de la société civile pour une feuille de route claire pour sortir de « l’état d’exception » qu’il a imposé. Les États-Unis doivent se tenir aux côtés des élus tunisiens et des organisations de la société civile pour demander au président Saied de clarifier ses plans pour ramener la Tunisie à une gouvernance démocratique. Alors que la quête de démocratie de la Tunisie trébuche sous la direction de Saied, nous appelons le Département d’État à prendre les mesures suivantes :
1. Insister pour que le président Saied cesse de poursuivre, de harceler et de restreindre les déplacements des députés et des militants engagés dans des activités de liberté d’expression et de protestation pacifique.
2. Déterminer si le président Saïed a effectué un coup d’État et, le cas échéant, enquêter sur les responsables tunisiens (civils et/ou militaires) qui ont aidé le président Saïed.
3. Enquêter pour savoir si le recours par le président Saied aux procureurs et tribunaux militaires pour inculper et juger des membres civils du Parlement tunisien et des militants pro-démocratie constitue une violation du droit tunisien ou international.
4. Déterminer si les actions actuelles du président Saied sont en violation des exigences d’aide américaine et, dans l’affirmative, geler l’aide militaire américaine à la Tunisie jusqu’à ce que la gouvernance démocratique soit rétablie.
5. Insister sur le rétablissement complet et immédiat du Parlement tunisien avec tous les droits et privilèges accordés.
Nous apprécions le travail continu de l’administration Biden-Harris pour garantir que le peuple tunisien reste libre et maître de son gouvernement démocratique et de son avenir. Cependant, nous devons adopter une position plus ferme avec le gouvernement Saied pour garantir que les progrès réalisés par la Tunisie vers la démocratie depuis la révolution de 2011 ne soient pas perdus.
Sincèrement,
Gérald E. Connoly, Tom Malinowsky et Rashida Tlaib