Les péripéties qui ont accompagné la réunion, du 25 janvier, du conseil national de sécurité présidé par le Chef de l’Etat puis la plénière que l’ARP a consacrée, le 26 janvier, pour le vote de confiance aux nouveaux membres du gouvernement, laissent perplexes et donnent la pleine mesure sur la grave crise qui secoue la vie politique. Une crise qui renseigne sur la fragilité de notre expérience démocratique assaillie de tous bords par des vents contraires et malmenée par ceux-là même qui sont censés la défendre et la renforcer mais qui ne daignent pas étaler leur linge sale au grand public.
Dans ce dérapage incontrôlé que le pays est à condamné à supporter, on ne sauve plus les apparences et on ne se refuse à aucune dérive outrageuse. Si depuis plus de dix ans on a fini par s’accommoder avec ces incartades qui ont souillé la pratique démocratique, les récentes évolutions témoignent que le Rubicon de l’innommable a été franchi. L’image que reflète la classe politique tunisienne, en cette nouvelle année de fortes turbulences, laisse dubitatif, tellement elle a été déformée par les incongruités des uns et l’inconscience des autres. Dans ce cafouillis, la Tunisie est plus que jamais divisée en deux camps. Il y a d’une part les tunisiens qui semblent avoir perdu leurs dernières illusion dans leurs dirigeants et élites. Des tunisiens désabusés, qui se sentent trahis et dont les attentes sont déçues. Il y a d’autre part une classe politique coupée des réalités et qui ne cherche qu’à se servir et à accaparer le pouvoir, ignorant comme une guigne toutes leurs promesses électorales en se livrant, dans une indifférence affligeante, à une bataille contre des moulins à vent.
Alors que les trois pouvoirs en place continuent à s’écharper sans retenue et à mettre en péril le fragile édifice né aux lendemains du 14 janvier 2011, les tunisiens sont laissés à leur triste sort. Au moment où la colère des jeunes gronde un peu partout dans le pays, le désespoir ne fait que s’accentuer, la sécurité du pays mise à mal et les institutions bafouées, on aperçoit une insouciance voire même une fuite en avant tapageuse de la classe politique et des élites. Au bord de l’implosion et de la banqueroute, le pays ne suscite plus chez eux aucune réaction d’orgueil ni même une velléité quelconque pour limiter les dégâts et arrêter cette descente vertigineuse dans les abîmes dans l’inconnue.
Les échanges aigres doux en pleine réunion du conseil de sécurité national entre les têtes du pouvoir donnent le tournis. Occultant le sujet principal, le débat s’est focalisé sur tout ce qui est infiniment insignifiant, sur un jeu de positionnement, non sur les questions qui interpellent les tunisiens. La sécurité de ces derniers contre un terrorisme rampant, leur santé contre une pandémie plus que jamais menaçante, les espoirs des jeunes éprouvés par la précarité et le mépris, les attentes des régions intérieures longtemps exclues du développement et la restauration d’une confiance perdue, ne figurent pas pour l’instant dans l’agenda de nos responsables qui oublient sciemment que dans un tel contexte « mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge »
Le débat à l’ARP qui s’est ensuivi a donné la preuve de la cassure qui existe entre les élus et ceux qui leur ont accordé leur confiance. En transformant l’hémicycle du Bardo en une arène d’un combat politique d’une mauvaise facture, ils ont administré la preuve qu’ils sont incapables d’être les dignes défenseurs des intérêts des tunisiens et de leurs aspirations légitimes pour la dignité et la liberté.
Un débat qui a fourni une preuve supplémentaire de la prééminence d’un discours populiste, qui divise plus qu’il ne construit un projet ou une alternative sérieuse pour l’avenir. Dans ce sillage tous les acteurs, ou presque, prétendent représenter la volonté du peuple, cherchent à se démarquer des élites traditionnelles, mais tous tiennent un discours démagogique, de mobilisation, plutôt qu’ils ne portent une vision, un projet ou une piste pour un conduire un véritable changement.