Par Faiza Messaoudi
La scène se présente comme lieu propice à l’expression de l’empathie, à la défloration de l’intimité, au partage, à la divulgation des sentiments les plus secrets, à l’extériorisation des soucis les plus exacerbants… Tout sereinement et légèrement éclairée, la comédienne Lobna Mlika nous divulgue son rêve suite à son intériorisation des douleurs d’une femme inconnue, de son fils accusé d’acte de violence face à son instituteur.
Une pièce onirique
« J’ai rêvé de toi hier. Tu sais que j’ai rêvé de toi hier?!» C’est ainsi que la comédienne entame sa pièce. Belle et palpitante phrase qui transperce la chair tels un frémissement, un frêle vertige, de la fièvre.
Cette phrase que prononce Lobna Mlika au prélude de la pièce revient plusieurs fois et rythme la représentation comme un refrain, une douce ritournelle. L’empathie est l’idée phare de la pièce dont résulte le rêve et l’identification. Entre le réel de la comédienne et l’autre inconnu, il y a un brin de lumière traversant avec transparence la frontière entre soi et non- soi, entre soi et sa négation, son autre, son semblable..
On comprend tout de suite que l’entrée inhabituelle du public à travers les couloirs obscurs n’est qu’un désir de la part de la protagoniste et le metteur en scène d’impliquer le spectateur dans le noyau du sujet, à travers une traversée dans les univers oniriques de la pièce, afin d’accéder aux arcanes de l’être de l’acteur, de sa psychologie, de son inconscient, de ses pulsions…
« J’ai rêvé de toi hier », impeccable expression qui réunit sur un même niveau le moi et l’autre dans une synergie infinie de sens et de sensations, où les corps, les cœurs, les âmes vivent à l’unisson les poids de l’humain, de la vie, ses peines et ses joies…
Les douleurs… on en partage aussi !
La comédienne, procède par une approche générative en faisant émerger des souvenirs enfouis dans sa mémoire, des ressentis oubliés qui ont provoqué ce sentiment de commisération avec une inconnue, et qui constituent les lieux communs qui sont à l’origine de cette identification. Ça pourrait être aussi un besoin de sublimer les peurs, de compenser les manques, de faire la catharsis, car en effet, la scène se présente comme lieu de la matérialisation de l’empathie ressentie par l’être – femme- mère- comédienne, parvenant à extérioriser par le jeu cette endurance d’un fait divers très marquant et touchant jusqu’à l’identification. La protagoniste nous apprend que l’empathie pourrait être un remède, une thérapie pour nous. Elle permet de nous purger de nos maux, de nos angoisses, de nos peines enfouies.
En vérité, c’est une œuvre qui traite de la nécessité de l’empathie, plus qu’elle n’aborde le sujet de la violence qui est un sujet très récurrent. L’approche intelligente de ce thème par les deux partenaires Lobna Mlika et Ibrahim Djemaa réfère un accent particulier à la pièce. En effet, Il est important de remarquer que la question de la violence est évoquée par ses antipodes qui sont la douceur, l’amour, la tendresse, et ce, au niveau de la conception scénique et l’emplacement du public qui crée une certaine affinité, au niveau du timbre et de l’intonation des voix des deux protagonistes qui ne parlent pas beaucoup d’ailleurs, au niveau des mouvements souples et tendres de leurs corps et de l’expression de leurs visages. Ils abordent ce sujet en réinterrogeant de manière intrinsèque ce phénomène très répondu dans la société et cherche dans son origine, ses causalités profondes, ses matérialisations dans les pratiques quotidiennes, dans les us et coutumes, la religion, les rites, la formation de l’individu et son environnement.
On déduit que la violence est là de nature… elle est toujours là, liée à l’existence, à l’homme. L’accouchement n’est qu’une violence que subit le corps de la mère, mais pour une belle naissance et renaissance… La naissance prématurée est une violence contre la fragilité de l’instinct de la maternité. La couveuse est une violence contre le nouveau- né, comme étant une toute première séparation avec la mère. Elle s’infiltre ainsi, tout aussi dans l’inconscient du bébé que dans le conscient de la mère… ! La pièce dénonce donc la violence comme phénomène rébarbatif, acte sadique, cynique, égoïste, cruel, haineux, tout justement inhumain…
Expressionnisme et symbolisme dans la pièce
Cette pièce nous a renvoyés au courant du symbolisme et de l’expressionisme allemand qui vise à faire ressentir de fortes sensations au spectateur à partir des images bien expressives se basant sur des symboles précis et condensés et suscitant une pluralité d’interprétations et de sens. La représentation donne à voir une série de tableaux pareils à des réalisations picturales plastiques mouvantes. Le tableau du récipient rempli d’eau et des tomates rouges sur la table, aussi le tableau de la formation et de l’arrondissement du ventre en guise de grossesse ou celui du videment du ventre comme un accouchement, sont très suggestifs en rapport avec le sujet. Aux moments silencieux, on se sert de langage pictural et sémiologique comme une alternative à la parole, au langage linguistique. Si certains de ces tableaux ont privilégié le silence, c’est afin de faire éclater davantage de sens et charger la scène de fortes sensations…