Qu’est ce que la poésie ? Qui est le poète ? A quoi rime le poème ? Autant de questions qui ont préoccupé l’humanité dans sa quête de marquer de son empreinte la terre à travers la culture. Des études scientifiques ont bien tenté d’approcher le phénomène de la poésie, de l’art en général. La philosophie s’y est essayée également. Il n’est pas certain que ces disciplines aient apporté une réponse plus satisfaisante que celle soufflée dans un beau recueil de poèmes, que celle chantée par un poète. Tounès Thabet, poétesse, nous emporte dans son monde, hors du temps, à la découverte de l’écriture poétique et du sens qu’elle dévoile.
J’attends
Si le scientifique observe, si le philosophe médite, le poète, lui, attend. Comment se traduit son attente ? Le verbe de l’existence poétique est celui « de dire de respirer d’écrire d’aimer d’être ». Le recueil est une grande salle d’attente dans laquelle la poétesse écrit son voyage poétique, dit ses douleurs, respire sa liberté, ravive ses amours, est ce qu’elle est : un phare qui éclaire sur l’espoir.
L’attente poétique est un rituel, une cérémonie. La procession du poème est l’écriture. Écrire est un « voyage recommencé », jamais sans dangers. Écrire c’est « risquer sa vie » sur le chemin du poète voyageur : « des mots de feu inventent le chemin ».
La cérémonie de l’écriture accouche sur le poème. Son dire acte la naissance des vers et des rimes. Comme tout enfantement, le dire est douloureux. L’auteure y sonde ses entrailles et attend sa délivrance. Elle attend son enfant, poème du jour qui naît : « les mots éclairent le jour ».
Avec l’avènement du poème, Tounès Thabet respire enfin l’espoir. Le poème nouveau-né crie : « liberté ! ». Il a la « rage de vivre ». Il se déchaîne : « les mots ne portent jamais de chaînes ni de masques ».
Sauf les chaînes et les masques de l’amour ! Le poème hérite de sa génitrice sa mémoire. Il évoque ceux qu’elle a aimés. Il ressuscite les ombres du passé et chante les fantômes de l’abîme de l’oubli : « Un chant au rythme vrai ; Terre mer ciel et poésie ; Arc-en-ciel du verbe aimer ».
Au final, c’est tout l’être de la poétesse qui est interrogé et engagé dans ce recueil, depuis les mots qu’elle dit dans l’écriture aux souvenirs qu’elle accueille. Dans son attente, la poétesse renaît d’elle-même : « mon être nait de l’encre ».
L’attente engagée, le voyage poétique a déjà commencé. Depuis quel abîme ? Vers quel horizon ? A quelle époque ? Avec quels bagages ?
Hors de la saison
Le « cri d’exister » qui dit l’être de la poétesse est un « cri traverse-temps traverse-frontières traverse-guerres ».
Traverse-temps, le poème quitte l’époque actuelle, le quotidien, la saison du commun et du médiocre. Le poème s’écrit « hors du temps », de ce temps de l’histoire qui se précipite de l’avant sans jamais se recueillir, de ce temps de la technique qui cherche à cumuler le rendement de l’utile et la valeur ajoutée. Le temps du poème se situe au-delà du présent simple. C’est le temps de la présence, pleine et entière dans le moment qui est là, « dans le frisson du maintenant ». C’est le temps qui ne se presse pas, nerveux, vers l’avenir mais accueille l’aube comme il accueille le crépuscule, avec sérénité. C’est le temps qui a déjà pris ses distances avec la nostalgie du passé pour honorer une mémoire toujours vivante. Le poème, en fin de compte traverse le temps, il « n’a pas d’âge », il est éternel.
Traverse-frontières, le poème, dans son éternité, voyage vers les « rivages lointains ». Il traverse les mers vers ce qui se cache pour le commun des mortels. Le privilège du poète est de sonder l’âme du bout du monde, étendre son regard vers un horizon inaccessible. Là git, en retrait, le sens de l’existence. Là, échappe-t-on au néant et au non-sens qui nous dévorent chaque jour, tous les jours. Là oublie-t-on le vide du trop-plein de quotidien qui nous rattrape à défaut de poésie. Le poème abandonne l’abîme où nous sommes, « au bord de l’absence », vers l’autre bord, le « bord du silence, l’éternité ». Tout migrant qui monte la mer à bord d’une barque autre que celle d’un poème risque la noyade dans ce voyage périlleux, cette quête du sens de l’existence.
Traverse-guerres, le poème détruit et reconstruit. Il détonne le vacarme de la guerre. Il ignore « les hommes indifférents » au malheur de leurs semblables. Il transperce le temps des conquêtes des hommes belliqueux et de leur cupidité. « Le temps coule comme le sang, comme les larmes ». Le poème pleure le sort de Gaza, le « sort des abandonnés » sous le joug de tels monstres. Mais le poème refait aussi notre monde car « c’est avec les décombres que se construit demain ». C’est avec les mots qu’on peut « résister à la nuit ». C’est dans les vers que « l’obscur est lumière ». « Chaque mot est lutte contre l’ombre », une « promesse de lumière » née d’une lanterne, une fenêtre sur « l’éblouissement de l’être », sur l’espoir…
Dans l’immensité de l’espoir
Tounès Thabet nous ouvre une fenêtre sur un autre monde. « Le poème dit le monde sans jamais un murmure de fatigue », il « pousse la porte du monde », il ouvre « mille possibles » car « le poète connait tous les chemins ». Cette projection à partir du présent pleinement assumé sur ces possibilités de l’existence à partir d’une vie poétique donne naissance à l’espoir. Tounès Thabet s’adresse ainsi à sa communauté de poètes : « Nous sommes l’invincible espoir », « la joie surgira de nos voix ». Et l’espoir est partout. Il est dans les bagages du poète voyageur. Il est dans la danse des mots et des thèmes. Il est dans les éléments de la nature. L’espoir retrouvé est aussi simple que « le pain pétri de rires ».
On ne peut que recommander la lecture de cette fenêtre sur l’espoir de la poétesse Tounès Thabet. De tels écrits convoquent le beau à travers la « fine brèche dans le mur », le mur du néant.