L’Association des magistrats tunisiens (AMT) tire la sonnette d’alarme sur la situation du système judiciaire, qu’elle qualifie de « catastrophique ». Dans un communiqué publié ce lundi, l’organisation dénonce une mainmise accrue du ministère de la Justice sur le pouvoir judiciaire, aggravée par la paralysie du Conseil provisoire de la magistrature.
Selon l’AMT, l’absence d’un Conseil supérieur de la magistrature indépendant et opérationnel a permis au pouvoir exécutif d’exercer un contrôle direct sur les magistrats. « Cette mainmise se traduit notamment par une limitation de leurs prérogatives, comme l’a illustré la récente réforme du code électoral ». Le rôle de la justice dans la protection des libertés et des droits fondamentaux en est, selon les magistrats, profondément affaibli.
En outre, l’Association pointe du doigt l’utilisation abusive des « notes de service » par le ministère de la Justice, lesquelles permettent des mutations et des changements fréquents dans la composition des tribunaux, y compris en cours d’année judiciaire. Ces décisions, jugées arbitraires, touchent notamment les juges d’instruction et les magistrats du parquet, créant une instabilité qui affecte le bon fonctionnement des juridictions.
L’AMT souligne également l’impact des suspensions de magistrats décidées sans procédure disciplinaire transparente. Ces mises à l’écart ont conduit à un manque criant de juges dans plusieurs tribunaux, contraignant certaines juridictions à fusionner des chambres, allongeant les délais de traitement des affaires et augmentant considérablement la charge de travail des magistrats.
Des cas concrets sont cités : les tribunaux de Monastir, Gafsa et Sidi Bouzid figurent parmi ceux les plus touchés par ces mutations et suspensions massives. Conséquence directe, des audiences se prolongent jusqu’à des heures tardives, rendant difficile l’accès des justiciables à leurs droits.
Autre point d’inquiétude majeur : l’AMT dénonce la vacance prolongée à la tête de la Cour de cassation et du Tribunal immobilier, qui restent sans président depuis plus de deux ans. L’organisation critique également les critères opaques d’affectation des magistrats, notamment à la Cour de cassation, où des nominations de juges moins expérimentés et parfois moins qualifiés sont effectuées en toute opacité.
Par ailleurs, l’absence d’un président à la Cour de cassation empêche la tenue des sessions des chambres réunies, paralysant ainsi certaines décisions judiciaires cruciales, notamment celles concernant des détenus en attente de jugement depuis plusieurs années.
L’AMT estime que ces dérives contribuent à une perte de confiance des citoyens dans l’institution judiciaire, notamment dans les affaires à forte dimension politique ou liées aux libertés d’expression et de la presse. « La multiplication des changements à la tête des juridictions – trois procureurs généraux nommés en peu de temps à Tunis – alimente également le scepticisme », lit-on de même source.
Enfin, l’Association met en garde contre le recrutement de magistrats sur des critères de proximité avec le ministère de la Justice, au détriment de la compétence et de l’indépendance. Une telle approche fragilise, selon elle, les principes d’un État de droit et de séparation des pouvoirs.
Malgré ce constat alarmant, l’AMT appelle les magistrats à défendre leur indépendance et à ne pas céder aux pressions. Elle exhorte également le ministère de la Justice à apporter des éclaircissements sur plusieurs décisions controversées, notamment les suspensions et les mutations de magistrats.
L’Association adresse enfin ses félicitations aux nouveaux magistrats issus de la promotion 32 de l’Institut supérieur de la magistrature et les invite à exercer leur mission dans le respect des principes d’impartialité et d’indépendance, essentiels au bon fonctionnement de la justice.