Responsables politiques, experts, organisations nationales et institutions internationales n’ont eu de cesse de nous avertir sur la gravité de la situation politique, économique et financière que traverse le pays. Ironie du sort, tout le monde est unanime quant à l’urgence d’entreprendre des réformes et à l’impératif d’assainir le climat politique et social. Tout le monde est convaincu que, sans un cadre politique apaisé, une concertation sérieuse entre les trois têtes du pouvoir et une véritable paix sociale, il serait illusoire de changer la donne et d’éviter au pays les affres de solutions qui seraient à la fois douloureuses, lourdes de conséquences et porteuses de germes de recrudescence des dissensions et de des incertitudes.
Le paradoxe se décline à travers une parfaite convergence sur l’origine du mal, sur l’extrême urgence d’agir et de faire bouger les lignes, mais au regard d’une grande divergence sur les moyens et les priorités. D’où l’inertie qui règne, le flou ambiant et la paralysie qui frappe nos institutions.
Dans le grand cafouillis qui perdure, depuis maintenant plus de deux mois, et le désamour déclaré entre les trois présidences qui veillent aux destinées d’un pays aux abois, rien ou presque n’a été entrepris vigoureusement pour limiter les dégâts et mobiliser toutes les énergies pour espérer un sauvetage et un possible rebond de l’activité et un hypothétique regain de confiance.
En lieu et place, on est sidéré par la dispersion des efforts, le caractère désordonné des actions et de l’improvisation des mesures, souvent décidées sous la pression.
Au moment où des signaux inquiétants se sont manifestés, comme le montre le départ de certaines grandes sociétés étrangères de la Tunisie, qui face à des autorités impuissantes, une administration aux abonnés absents et un environnement des affaires dégradé, ont pris cette grave décision, par désespoir de cause. Une décision qui ne fera qu’ altérer davantage l’image de la Tunisie chez la communauté des investisseurs internationaux qui perçoivent, de plus en plus, ce site comme hostile aux affaires et à la création de valeur.
Ce mauvais signal reflète, manifestement, un ras-le-bol des opérateurs qui ne supportent plus l’inertie des autorités publiques, incapables de faire prévaloir le droit et la loi. Des autorités otages des calculs politiciens et incapables d’offrir des alternatives sérieuses ou de coordonner leurs actions
Dès lors, que valent les dialogues que cherchent à initier, dans la désunion, le président de la République et la présidence du gouvernement ? Deux dialogues qui traduisent une vision antinomique de la situation dans le pays et des thérapeutiques qu’on cherche à administrer à un corps malade, sinon gangréné par les manœuvres politiciennes et les calculs étriqués.
Si le dialogue national que l’UGTT cherche à initier, en impliquant la présidence de la république, risque d’être une parodie au regard des préalables posés par les uns et les autres et la volonté d’exclusion de parties œuvrant plutôt à parfaire leur positionnement qu’à favoriser l’union sacrée de toutes les forces vives du pays.
Dans ce climat délétère, le dialogue national proposé ne sera pas la solution idoine pour une sortie de la crise, mais plutôt un facteur qui est à même d’attiser les tiraillements entre les différents acteurs. Au regard de la rupture, presque consommée, entre le président de la république et le chef du gouvernement et entre le premier et le président du parlement et des tensions qui opposent l’UGTT et l’UTICA, un consensus entre des partenaires qui continuent à s’écharper, est hors d’atteinte.
Indubitablement, le sens de responsabilité, de rationalité et de discernement chez ceux qui nous gouvernent, les acteurs politiques et les organisations nationales fait cruellement défaut.
Parallèlement, quelle issue pourrait-on espérer des rencontres de l’économie initiées par le chef de gouvernement avec les partenaires sociaux et économiques à l’effet de parvenir à une feuille de route pouvant conduire au sauvetage économique ? Se trouvant au milieu du gué, quelle marge de manœuvre le gouvernement, pourrait-il avoir pour amener des partenaires sociaux inconciliables, à enterrer la hache de guerre, à obtenir un blanc seeing pour engager des réformes qui conditionnent l’acceptation des institutions de Bretton Wood de lui ouvrir les vannes indispensables pour éviter au pays un naufrage annoncé ? En attendant un improbable sursaut, le pays continue à naviguer à vue et chacun improvise à sa façon et en fonction de ses intérêts pour chercher une issue incertaine à un pays qui ne cesse de s’engluer dans les divisions et les surenchères stériles.