Les photos les plus publiées par les Tunisiens sur les réseaux sociaux sont celles qui les montrent en train de manger. A priori, mettre sur son mur une photo de ce genre n’a rien de particulier. Mais quand cela prend la forme d’une tendance générale, cela mérite réflexion.
Les photos tunisiennes de la ripaille sont de quatre catégories. La première correspond à celles postées par les instagrameuses qui jouent leur rôle d’influenceuses et sont payées pour faire de la publicité. La seconde est celle des groupes genre « On a mangé pour vous » qui se sont érigés en testeurs de la bouffe que nous proposent les restaurateurs, qui – après s’être rempli la panse- attribuent des notes et s’arrogent le droit d’orienter nos choix alors que personne ne les a missionnés pour ce type de tâche. La troisième catégorie réunit les photos (et parfois videos) de celles (et éventuellement ceux) qui cherchent une reconnaissance en tant que cordons bleus sans passer par une formation dispensée par une école spécialisée. Quant à la quatrième et dernière catégorie, elle est l’œuvre de ceux et celles qui s’affichent en tant que bons vivants et becs-fins qui s’offrent de succulents repas alors que très souvent il ne s’agit que d’un « keftagi » ou d’un « lablabi » avalé à la va- vite dans une gargote.
C’est cette dernière catégorie qui nous intéresse le plus ici. Si la fréquentation des restaurants peut être considérée comme le signe du bien-être, la focalisation quasi exclusive sur le fait de se sustenter est révélatrice d’un vide, d’une existence dénuée d’activités variées (en particulier intellectuelles, culturelles et utiles pour la communauté). Une société qui ne vit que pour manger s’autodévore de l’intérieur .