La première fois que j’ai entendu parler de Ahmed Brahim , c’était lorsque Mokhtar Latiri , directeur de l’ENIT m’avait demandé d’associer les deux enseignants de français de son établissement, Ahmed Brahim et Jalloul Azouna, à la vie du département de français du 9 avril que je dirigeais.Sans doute voulait-il les délivrer de leur isolement pour qu’ils participent à la recherche et se ménagent pour leur carrière de meilleurs horizons.Mais il n’est pas exclu, parce qu’il m’a relancé plus d’une fois, d’y voir aussi une volonté de préparer le départ de collègues trop politisés à son gré , pour les remplacer par de plus accommodants.
Quand Ahmed Brahim a intégré la Faculté, son comportement en tant qu’enseignant a été exemplaire, en fait de conscience professionnelle, de compétence, d’intégrité et de bonne entente avec les collègues.
Au fil des années , il a eu le loisir de parfaire sa formation et de contribuer à la formation de plusieurs promotions d’étudiants. Un autre trait à mettre à son actif mérite d’être souligné. Tout militant qu’il est, une fois à la Faculté, il revêt l’habit professoral, oubliant la politique et ses chicanes.
On n’était, sans doute, pas du même bord, mais je respectais ses convictions parce qu’il était mû par la sincérité et l’amour des plus humbles, sans tapage ni ostentation. Pour y parvenir il animait le journal de son parti, en tant que rédacteur en chef, fort d’une bonne maîtrise de la langue arabe et d’une volonté inlassable de guetter l’information, malgré tous tous les écueils et tracasseries que le régime en place ne manquait de susciter.
J’ai par ailleurs eu le plaisir d’enseigner en même temps que lui les « Discours »de Robespierre, chacun de nous selon un point de vue différent , en rapport avec notre formation respective.
Il a eu le mérite de rassembler les textes pour en faire un polycopié.
Mais la grande révélation d’Ahmed Brahim, y compris pour ses collègues, c’est la stature de tribun qu’il a acquise , à l’échelle nationale, au lendemain de la révolution. Bien plus que son rôle de ministre de l’enseignement supérieur_ d’autres ministres brillants par ailleurs, ne laisseront aucune trace_ c’est sa dimension de chef de parti que l’histoire retiendra.
Mettant en sourdine la composante communiste, il a su forger un parti où les intellectuels , toutes tendances confondues, pouvaient trouver un idéal et l’essentiel de leurs aspirations. Aussi lui avons-nous apporté nos suffrages. Avec les élections législatives ultérieures, la donne a changé et tout le monde a opté pour le vote utile face à Ennahdha.
Sans doute eût-il mieux valu privilégier une coalition.
Mais on ne peut pas refaire l’histoire. De toute façon notre ami était alors hors de course , miné par la maladie et surtout usé pour s’être mobilisé sans compter au service d’une noble cause.
Paix à son âme.