Elle s’appelait Halima Echeikh, mais pour les Tunisiens elle s’était toujours appelée Naâma, le nom de scène que lui donna Salah Mehdi, monsieur musique sous le règne de Bourguiba, en référence à la célèbre favorite du calife abbasside Errachid.
Naâma, comme avant elle l’illustre Saliha ou la sublime Fathia Kairi, toutes deux d’ailleurs de la même région du Kef, était d’origine paysanne et n’avait pas fréquenté d’école. C’était une douée. Un don du ciel, pourrait-on dire, eu égard au bonheur qu’elle apportait aux Tunisiens-et continue de le faire même après sa mort- et au riche répertoire qu’elle a laissé aux générations à venir.
Née à Azmour, dans les environs de Nabeul, la future Naâma dut dès sa tendre enfance promener sa sensible oreille pour capter les mélodies de l’époque entre son village natal et la capitale où elle devait accompagner sa mère pour le travail. Installée dans une modeste demeure à la Rue Pacha, elle développera cette oreille musicale qui lui permettra de compenser une absence de formation et d’apprendre rapidement les secrets du bon chant. Se faisant remarquer par son interprétation juste et intelligemment exécutée des grands succès égyptiens à l’occasions des réunions familiales, on lui proposa d’intégrer la Rachidia, l’ensemble référence de la musique et du chant tunisiens créé la même année de la naissance de la chanteuse en 1934, et où elle allait briller tant par ses tubes populaires que par ses interprétations fines et subtiles des poésies les plus élaborées. En 1969, lors du Millénaire du Caire elle fut saluée par la crtique égyptienne comme « la voix tunisienne la plus spécifique et la plus captivante ».
Dès les premières années de l’Indépendance, Naâma s’installa sur le trône de la chanson tunisienne et ne le quittera qu’à la fin des années 90 poussée par l’âge et la maladie. Tout comme elle ne quittera jamais son pays à la recherche de la célébrité comme le fit en son temps et en pleine gloire pourtant son alter ego l’inoubliable Oulaya, et comme le font aujourd’hui beaucoup d’autres chanteurs et chanteuses appâtés par la notoriété et la fortune.
Persévérante, appliquée, motivée elle sut très tôt faire de sa voix la marque de la chanson tunisienne. C’était une voix petite en apparence, mais d’une douceur et d’une pureté inégalables et qui pouvait rendre avec aisance et un envoûtant et chaleureux timbre tout le ressenti des paroles et de la mélodie.
Durant ses 50 ans de carrière, Naâma gagnera le vénéré titre de Saida Naâma (la grande dame), et embrassera tous les genres chansonniers et prêtera sa voix aux plus grands compositeurs nationaux et arabes, Salah Mehdi, bien sûr, mais aussi Mohamed Triki, Chedli Anour, Abdelhamid Sassi et jusqu’à l’égyptien Said Mekkaoui. C’est quelques 600 chansons qu’elle offre en héritage.
En souvenir de cette grande dame de la chanson, disparue le 18 octobre de l’année dernière, nous avons choisi parmi son riche et imposant patrimoine cette chanson populaire au rythme vif et entrainant et qui est devenue la chanson culte de toutes les fêtes, qu’elles soient religieuses ou nationales. Chanson de cérémonie et de joie partagée, « Allila Aid » est devenue avec le temps la mélodie fétiche de nos grandes victoires sportives.
En espérant que ces beaux jours reviennent et que la Télévision nationale rappelle à notre souvenir la voix de la chanteuse disparue en diffusant jusqu’à après sa mort par sa voix suave au tintement de cristal et son sourire communicatif, la joie collective et l’espoir retrouvé. Allila Aid, ce soir est fête !