A l’issue de la 65e année de l’indépendance, il est plus que jamais impérieux de s’intéresser de près à l’image que se fait la Tunisie d’aujourd’hui de l’artisan de cette indépendance qu’est Habib Bourguiba. Qui est cet homme dont des milliers de nos concitoyens portent le prénom et dont tout le monde parle ? Qui est ce leader dont plusieurs partis et hommes politiques se réclament ? Qui est ce président de la Tunisie de 1957 à 1987 à qui l’on reproche le fait d’avoir commis beaucoup d’erreurs ? Que reste-t-il des trente années que ce chef d’Etat a passées à la tête du pays ?
Les jeunes de vingt ans, qui sont venus au monde après son décès en 2000, sont dans le flou. Les cadres, les hommes d’affaires, les médecins, les avocats et les universitaires âgés d’un peu plus de quarante ans ne sont pas mieux lotis, à cause du black out pratiqué par son successeur.
Certes les rappels récurrents de certains acquis tels que la libération de la femme, l’édification de l’Etat moderne et les efforts en matière d’éducation et de santé publique font que cet homme est plus ou moins présent dans notre mémoire collective. Mais a-t-on suffisamment mis l’accent sur l’essentiel ? A-t-on séparé le bon grain de l’ivraie ?
A l’heure actuelle, il existe de multiples tendances politiques qui essaient de faire réussir des greffes de toutes sortes sur la société tunisienne. Cela passe par l’élaboration d’un portrait de Bourguiba façonné selon leurs orientations idéologiques. Au sein de cette mosaïque constituée de plus de deux cents partis, émergent quatre tendances principales. Les « destouriens » se présentent comme les légataires universels du « Zaîm » et, comme tous les héritiers, ils se déchirent à longueur d’année. Les «centristes» sont toujours dans le « oui mais ». Les «islamistes» ont une aversion horrible pour tout ce que représente le Kemal Atatürk tunisien, essentiellement à cause d’une mésinterprétation de l’idée de laïcité. La «gauche», en constante contestation des faits et gestes du «combattant suprême» de son vivant, a finalement admis que celui-ci est le porte-étendard du modèle sociétal qui sied à la Tunisie, si celle-ci adhère aux valeurs de la modernité telles que la démocratie, le vivre-ensemble, la liberté individuelle et le rationalisme. Presque tous ceux qui ont fait un bout de chemin avec Bourguiba ne sont plus de ce monde. Qui donc éclairera la lanterne de tous ceux qui aujourd’hui veulent connaître le passé pour mieux comprendre le présent et l’avenir ?