“En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal ”, soutenait Machiavel qui a consacré sa vie à conseiller le Prince Médicis sur la façon de gouverner pour se maintenir au pouvoir meilleurs moyens pour gouverner sans anicroches.
Dans le tourbillon que traverse actuellement la Tunisie, on déplore l’absence de toute intelligence qui permet la distinction entre le bien et le mal et, surtout, de dirigeants fidèles à leurs engagements, à la mission qui les incombe. Plus les effets de la crise politique, économique et sociale gagnent en gravité, plus ceux qui nous gouvernent tournent en dérision toutes les règles qui balisent les voies de sortie de scénarios catastrophe ou concourent à de possibles compromis. Depuis plus d’un mois le pays vit au rythme de surenchères stériles, d’échanges d’accusations, d’invectives et d’appels, à peine voilés, soit au renversement du gouvernement, à la dissolution du parlement soit au départ du président de la république. Dans ce cafouillis, les appels à une solution consensuelle de la crise, au dialogue serein sont à peine audibles. Dans ce contexte délétère et asphyxiant, tous les acteurs politiques, organisations de la société civile, élites et personnalités de tous bords se sont donnés à cœur joie pour attiser les feux de la discorde et des dissensions. Dans ce moment crucial que nous vivons où nos partenaires ont osé nous rappeler à nos responsabilités, à l’exigence du compromis, à la solution de cette crise et à l’impératif de la restauration de la confiance, nos dirigeants se complaisent dans le statu quo, continuent à s’écharper et restent insensibles aux conséquences néfastes de cette fuite en avant et dont les frais seront désastreux pour toute la communauté.
Au moment où personnalités politiques, organisations nationales et experts sonnent le tocsin quant à l’avenir du pays, alertant sur le dysfonctionnement des institutions, la paralysie de l’activité économique, l’érosion de la confiance, la généralisation de la désillusion et de la peur et le spectre de l’anarchie, ceux qui nous gouvernent restent insensibles à ces cris de détresse. Obnubilés par un désir insatiable de régler leurs comptes et d’étaler leurs dissensions, ils restent inaudibles à ces appels. Alors que tout va de travers, que les trois têtes du pouvoir se livrent à une guerre larvée, que toute coordination et communication est devenue impossible, ils veulent nous faire croire que tout continue à tourner malgré tout. En Italie, par exemple, où les institutions républicaines sont solides et ancrées, les crises politiques n’ont jamais inquiété outre mesure. Et pourtant ça tourne, dit-on souvent, parce que même si le politique et l’économique sont imbriqués, il existe une intelligence et une culture qui permet de donner à l’intérêt général sa primauté. Chez nous c’est une autre histoire. Chez nous c’est une autre histoire.
Le président de la république, un peu esseulé, continue à recevoir des personnalités tunisiennes et étrangères tout en distillant un discours ambigu et aux allures parfois vindicatives envers ceux qui « trament complots et basses manœuvres ».
Le chef du gouvernement, qui ne perd pas espoir à la faveur du soutien que lui procure Ennahdha en particulier, fait comme si de rien n’était. Il continue à gérer au plus pressé avec une équipe gouvernementale, aux abois et peu solidaire, et à faire la politique du pire. Au bord de la banqueroute, il fait fi à toutes les mises en gardes qui lui sont lancées notamment par le FMI sur la maîtrise de la masse salariale, en continuant à céder aux pressions qui fusent de partout et à accorder, à tout va, des augmentations salariales que rien ne pourrait justifier dans le contexte actuel.
Le Président du Parlement, Rached Ghannouchi, affiche un calme olympien, en poursuivant une gestion hasardeuse de l’Assemblée des Représentants du Peuple, qui s’apparente plus à une arène de combat, que d’un hémicycle dont les élus sont redevables envers leurs électeurs.
A la croisée des chemins, la Tunisie reflète l’image d’un pays où règne amateurisme, improvisation et approximation à tous les échelons. Un pays dont les responsables n’arrivent pas à définir des priorités, ni des urgences. Ils n’arrivent pas à s’entendre par quoi commencer, quand commencer ou ce qui devrait être fait pour faire face à un désastre annoncé. Ils hésitent encore sur les stratégies à mettre en œuvre, les actions à engager ou les mesures à prendre. Ayant la tête ailleurs et le cœur penché sur tout ce qui est insignifiant, ils tournent le dos à ce langage barbare qui parle de réalité complexe, de périls imminents et de la nécessité de conduire un véritable changement. Invoquer, chez ces amateurs qui nous gouvernent, devoir de responsabilité, intérêt général, consensus ou compromis, comme préalables pour que le pays résiste à cette houle rebelle, désappointe plus qu’il interpelle. Le plus important pour eux est de garder leur rente et de se maintenir au pouvoir vaille que vaille.