Huit mois après son déclenchement, le mythe de la simple « opération militaire spéciale » en Ukraine a vécu. Sans toutefois prononcer le mot de « guerre », Vladimir Poutine a franchi un cap majeur, ce mercredi 21 septembre, en décrétant la mobilisation des citoyens pour le front ukrainien, où les forces russes sont bousculées depuis plusieurs semaines.
« L’oukaze est signé, le processus débute aujourd’hui », a annoncé le président dans une rare adresse télévisée à son peuple, au cours de laquelle il a agité à nouveau la menace nucléaire.
La mobilisation militaire partielle annoncée concerne 300 000 réservistes, en priorité des citoyens ayant une expérience militaire, âgés de 65 ans pour les plus vieux.
Peu de détails ont été rendus publics sinon que ces personnes devront être formées et équipées de manière appropriée. Aucun calendrier de déploiement n’a été annoncé, alors que beaucoup des troupes les plus expérimentées sont sur le terrain, et subissent de nombreuses pertes.
Les étudiants et les appelés du contingent ne seront pas concernés par une mobilisation au front, ont pour l’instant promis les autorités russes. Selon le chef de la commission de la défense au Parlement, Andreï Kartapolov, sont principalement concernés les soldats et sous-officiers réservistes de moins de 35 ans ainsi que les officiers subalternes de réserve de moins de 45 ans.
Le ministre de la défense, Sergueï Choïgou, a fait valoir que la ligne de front « est longue de plus de 1 000 kilomètres. Evidemment, il faut renforcer cette ligne et les arrières, il faut contrôler ces territoires », a-t-il dit.
« Pas du bluff »
Vladimir Poutine a également accusé l’Occident, et notamment l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), d’être à l’origine d’un « chantage nucléaire », renversant les accusations à son encontre. Il a ainsi dénoncé les « déclarations de certains représentants de haut rang des principaux Etats membres de l’OTAN sur la possibilité d’utiliser des armes nucléaires de destruction massive contre la Russie ».
« A ceux qui se permettent de telles déclarations concernant la Russie, je tiens à rappeler que notre pays dispose également de moyens de destruction divers, et pour des composantes distinctes et plus modernes que ceux des pays de l’OTAN. Et si l’intégrité territoriale de notre pays est menacée, nous utiliserons certainement tous les moyens à notre disposition pour protéger la Russie et notre peuple », a averti le président russe à la fin de cette allocution télévisée enregistrée. Il a ajouté sur le ton d’une mise en garde : « Ce n’est pas du bluff »
Washington prend la menace au sérieux
Les États-Unis «prennent au sérieux» la menace de Vladimir Poutine de recourir à l’arme nucléaire dans la guerre en Ukraine, a dit un porte-parole de la Maison Blanche, annonçant de «sévères conséquences» si le président russe passait à l’acte. «C’est une rhétorique irresponsable de la part d’une puissance nucléaire, mais ce n’est pas incohérent avec la manière dont il s’exprime depuis sept mois et nous prenons cela au sérieux», a déclaré John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale, dans une interview avec la chaîne ABC.
«Nous surveillons du mieux que nous le pouvons leur posture stratégique de manière à pouvoir changer la nôtre si besoin. Rien ne dit actuellement que ce soit nécessaire», a-t-il toutefois ajouté. Interrogé à propos de la mobilisation de 300.000 réservistes annoncée par le président russe, John Kirby a assuré: «Nous nous y attendions». «Cela montre incontestablement qu’il est à la peine» sur le plan militaire, a affirmé cet ancien amiral.
Devant l’Assemblée générale de l’ONU, Joe Biden a accusé la Russie d’avoir « violé de manière éhontée » les principes fondateurs de la Charte des Nations unies, autour desquels il a appelé tous les pays, démocratiques ou non, à s’unir.
Le président américain a martelé que l’institution reposait sur « l’interdiction claire de s’approprier par la force le territoire du pays voisin », et a ajouté, à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU: « Cette guerre anéantit le droit de l’Ukraine à exister, tout simplement ». Après que Vladimir Poutine a menacé d’utiliser l’arme atomique mercredi, des propos « dangereux » selon Joe Biden, ce dernier a dit: « Il est impossible de gagner une guerre nucléaire et il ne faut pas la mener ».
Zelensky n’y croit pas
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky ne «croit pas» à l’utilisation d’armes nucléaires par Moscou dans la guerre en Ukraine, a-t-il déclaré dans une interview à la chaîne allemande Bild TV, après que Vladimir Poutine a agité cette menace dans un discours.
«Je ne crois pas que ces armes seront utilisées. Je ne crois pas que le monde laissera faire», a affirmé le chef de l’Etat ukrainien selon des extraits de cette interview.
Pour les pays européens, les déclarations de Vladimir Poutine constituent un acte de désespoir », une fuite en avant, un aveu de faiblesse. Il est en panique, en désarroi…
Appel à manifester
Le mouvement russe Vesna, qui s’exprime ouvertement contre la guerre en Ukraine malgré les risques d’emprisonnement, a appelé les Russes à manifester contre la mobilisation de 300 000 réservistes.
« Cela signifie que des milliers d’hommes russes – nos pères, nos frères et nos maris – vont être jetés dans le hachoir à viande de la guerre, a commenté le groupe d’activistes en appelant à manifester dans les rues des grandes villes. Maintenant, la guerre est entrée dans chaque foyer et chaque famille. »
Dans les jours qui ont suivi le déclenchement de l’opération d’invasion de l’Ukraine, le 24 février, au moins 16 000 manifestants avaient été interpellés au cours de rassemblements de protestation nocturnes, selon l’ONG OVD-Info. Une loi russe adoptée après l’invasion est passible d’une peine d’emprisonnement (jusqu’à quinze ans) pour toute diffusion de « fausses informations » sur l’« opération militaire spéciale », dénomination donnée par la Russie à l’invasion de l’Ukraine.
Quitter la Russie…
Les billets pour des vols directs vers les destinations les plus proches de la Russie – l’Arménie, la Géorgie, l’Azerbaïdjan ou encore le Kazakhstan – sont tous épuisés pour la journée de mercredi, selon le site Aviasales, très populaire en Russie pour acheter ses billets, relate l’Agence France-Presse.
En direction d’Istanbul avec Turkish Airlines, devenue depuis les sanctions occidentales et la fermeture de l’espace aérien européen l’une des principales voies de sortie du pays en avion, « tous les vols sont complets » jusqu’à samedi. Le prochain vol avec des places disponibles pour Belgrade assuré par Air Serbia était affiché pour le lundi 26 septembre.
Les prix vols intérieurs en direction de villes proches des frontières du pays ont, eux aussi, augmenté, comme en témoignent des billets proposés de Moscou à Vladikavkaz (Sud) pour plus de 750 dollars (757 euros)… contre à peine 70 dollars normalement. Les compagnies aériennes russes ont reçu l’ordre de ne plus vendre de billets aux hommes de 18 à 65 ans, à l’exception de ceux qui détiennent un laissez-passer fourni par le ministère de la défense.
Au début de l’offensive russe en Ukraine, un premier exode de Russes opposés à l’assaut ou craignant la mobilisation avait eu lieu. Aucune estimation officielle n’a été rendue publique, mais il a concerné au moins des dizaines de milliers de personnes.