Propos recueillis par Sayda Ben Zineb
Artiste, poétesse, musicienne et pédagogue suisse à la sensibilité humaine remarquable et profonde, Nicole Coppey crée ses œuvres en multiples éclairages, notamment par la déclamation, la production audio-visuelle, la danse et le dessin de calligrammes manuscrits. Elle est auteure de nombreux livres et recueils dont « Lune Soleil de l’Âme » (316 pages), sorti récemment (octobre 2022) aux Editions L’Harmattan (Paris) et AGA, Alberobello (Italie). Nicole Coppey y célèbre et immortalise comme elle sait si bien le faire, ce qu’il y a de plus beau dans notre pays… Chott El Jérid et le Sud tunisien. Interview.
*La poésie est pour vous, une source de création profonde, dans une interaction générée entre la musique des mots et le rythme des sonorités verbales. Elle n’est pas seulement écrite mais interprétée, afin d’être transmise sous plusieurs formes. Pourriez-vous nous expliquer davantage votre démarche ?
Nicole Coppey: Dès que j’écris, j’interprète les mots dans mon for intérieur. Cela va ensemble; comme si j’avais deux jumeaux (écriture et interprétation) et que je devais m’occuper autant de l’un que de l’autre. Je ne peux concevoir l’écriture sans penser à l’interprétation du texte poétique. C’est aussi pour cela que j’ai eu l’idée de transmettre ma poésie sous plusieurs formes. Il y a plusieurs étapes et c’est très complexe et difficile d’y aboutir car cela demande des compétences différentes. Brièvement, je vous fais part des différents paliers à franchir : J’écris le poème, je le dessine sous forme de calligramme (dessin avec les lettres du poème). Ensuite, je l’interprète en studio. Mon ingénieur du son enregistre donc ma voix parlée puis ensemble nous travaillons les bandes sons. C’est un gros travail très lourd… Une fois cela terminé, avec le monteur je conçois le film avec différentes images. Parfois cela peut être des images de la nature comme j’en ai fait beaucoup en Tunisie. Parfois, cela peut être aussi simplement des images de studio démontrant ce travail intense et dense. Très souvent en studio, je m’accompagne de musiciens et l’interprétation du moment prend forme sous les émotions communes. Dans les différentes étapes, intervient ensuite le lien de l’adresse internet codée afin que le lecteur après l’avoir scannée puisse entendre l’interprétation du texte. Pour certains lecteurs, seul le texte suffit, pour d’autres, le dessin interpelle, et pour d’autres encore, entendre la voix de l’auteure et son interprétation peut être intéressant, aussi à usage pédagogique comme exercice de styles d’interprétation. Je vois donc la poésie sous des aspects multidimensionnels qui mettent en œuvre l’éveil des perceptions chez le lecteur. C’est aussi pour toutes les générations que je conçois ce mode de transmission. Des parents peuvent montrer aux enfants le dessin, et l’enfant peut déjà juste s’imbiber de l’atmosphère, c’est déjà une réussite pour la transmission de la poésie car si on investit les enfants, la poésie restera vivante.
*Dans votre nouveau recueil « Lune, Soleil de l’Âme », vous avez consacré des poèmes où vous déclamez votre amour pour Chott El Jérid, « Lac salé » et « Cœur du Monde », ainsi que d’autres inspirés des dunes du désert. Est-ce pour nous rappeler une fois de plus, votre forte attirance par la magie du Chott, de Tozeur et du Sud tunisien ?
-Ah oui c’est certain ! Le Chott El Jérid, le désert du Sahara, le Sud tunisien, Tozeur ont été pour moi extrêmement forts et même essentiels. Ces endroits sont dans mon cœur. Je parle ici en Suisse régulièrement du Chott et du désert car ces endroits m’ont construite et ont même pansé mes blessures internes. Dans ma vie intérieure, c’est en mouvement comme dans le Chott et au désert… Et puis, j’ai passé des heures sur le Chott El Jérid et dans le désert du Sahara. Sans cela, j’aurais manqué une partie de ma vie. Ainsi, je me sens plus paisible. On ne peut pas expliquer l’émotion ressentie lors de mes différents tournages dans ces lieux… Je suis juste « ailleurs, dans une autre dimension ». Je suis extrêmement reconnaissante à tous ceux qui m’ont aidée à réaliser tout cela. J’ai souvenir plus particulièrement de certains projets, comme le film « Vers des déserts » que j’ai tourné en version longue et en version courte sur le Chott El Jérid et sur les dunes du Sahara. Je me souviens surtout que lorsque nous sommes arrivés sur la dune, je n’ai eu le temps que de déclamer par cœur toute l’ode en une unique fois car le soleil se couchait déjà… Je n’ai donc pas pu prendre de risque… et de tout cela je me souviens comme si c’était hier. J’avais conçu ce film sur une ode mystique de Jalal Eddine Rumi. J’ai aussi souvenir d’avoir été invitée à participer (grâce à Nadia et Amara Ghrab) au projet du Land-Art. Pour ce projet d’une telle envergure, j’avais pris toute mon équipe tunisienne pour m’aider à mettre en forme mon chameau dromadaire. J’ai aussi souvenir d’avoir tourné un poème chanté sur une partie du Chott dont les eaux toutes rouges reposaient et dans lesquelles on pouvait y apercevoir les roses de sables. Les films en témoignent. Comme toutes ces émotions m’habitent, il était naturel pour moi de consacrer plusieurs poèmes du désert et du Chott dans mon dernier recueil « Lune Soleil de l’Âme » car pour moi, le cœur du monde, c’est le Chott ! ». Il est grand comme ton cœur comme mon cœur… / Ô Chott d’inspiration…./ Cadeau divin…/ Ton parfum coloré embaume les dunes de mon cœur »…..
*Penseriez-vous que c’est la suite de « Souffle d’or sur une mer rouge » (Editions Arabesques, Tunis 2013) et « Je partirai », (Editions Hippocampe Art et Citoyenneté, Tozeur 2012) ; deux œuvres qui impriment à merveille ce dont la Tunisie vous a inspiré lors de vos différents séjours il y a plus d’une dizaine d’années ?
-Absolument ! Je vois « Souffle d’or sur une mer rouge » et « Lune Soleil de l’Âme » comme un tout, avec évidemment « Je partirai » au centre du centre. C’est comme un déroulement de vie….Et l’un sans l’autre ne peut pas prendre de sens. Déjà les titres sont une suite, on est complètement et continuellement dans un Tout qui circule dans toutes les dimensions spirituelles et cosmiques. De mon côté, je suis autant attachée à un recueil qu’à l’autre. Par ailleurs, prochainement à Paris sera diffusé un article sur ma démarche. « Souffle d’or sur une mer rouge », et les Editions Arabesques par M. Chebbi, seront cités, j’ai tenu à cela.
*Pourquoi cette rupture soudaine avec votre univers de prédilection et compteriez-vous y revenir un jour ?
-Je ne sais pas s’il y a eu rupture. Je crois simplement qu’après quatre ans et l’aboutissement du livre, je devais poursuivre mon chemin. Lorsque je revis intérieurement ces moments si forts vécus en Tunisie, les larmes glissent, tant mon attachement aux personnes, aux familles reste fort mais aussi à la culture, aux paysages. J’espère revoir le Chott, le désert et le Sud tunisien, et les familles…
*Que vous a-t-il apporté votre contact avec la culture de l’autre, à part l’inspiration poétique ?
-J’ai été fascinée par cette découverte et c’était une énorme chance pour moi de pouvoir vivre dans la famille Chebbi. Cela m’a permis davantage de saisir le poète Chebbi, de ressentir la beauté poétique… Cela m’a permis aussi de mettre sur pieds mes projets car je me sentais soutenue dans cette démarche poétique. La poésie vibre différemment en Tunisie. C’est là qu’elle prend un sens profond et inspirant, parmi les orangers, la palmeraie, les dunes du désert, le chant du sable, le sel du lac, etc… La sensibilité poétique n’a rien à voir avec ici… ! Là-bas, on peut parler poésie des heures et des heures. Je me sentais donc extrêmement bien, comme à l’intérieur d’un cocon. Et puis, en Tunisie, la notion du temps est différente. On vit le temps d’une autre façon. C’était un bonheur de ressentir tout cela et de pouvoir le vivre… aussi de parler de ma culture. Ils étaient curieux de poser des questions… C’était un bel échange. J’ai également eu l’occasion d’enregistrer leurs chants traditionnels berbères car j’avais toujours avec moi un enregistreur pour mon travail. De réaliser cela m’a rendue totalement heureuse. Comme musicienne, ma démarche artistique s’inscrivait aussi dans cette démarche ethnomusicologique. J’estime avoir eu une chance inouïe de pouvoir vivre tout cela. J’étais intéressée de connaître tous ces chants et même de les réutiliser dans certains montages de mes films poétiques. Je me suis dit que par ce biais ces chants seraient connus et retransmis aux générations. J’avais été interpellée par le fait que les femmes chantent et s’accompagnent rythmiquement sur de simples bassines qu’elles avaient sous la main. C’étaient des moments incroyablement beaux et forts, dans la simplicité !
*Pour cette nouvelle année, vous pouvez envisager, en collaboration avec l’ambassade Suisse à Tunis, des tournées dans quelques espaces culturels pour des récitals de poésie, en public… Qu’en dites-vous ?
-Sincèrement, j’aimerais beaucoup et juste d’y penser, cela m’émeut. J’ai eu par plusieurs fois des invitations au festival de Tozeur. J’en ai été extrêmement touchée et reconnaissante. Malheureusement je n’ai pas pu chaque fois les honorer. Tous ces endroits resteront dans ma mémoire éternellement. Aussi, pouvoir retourner et cette fois-ci, en collaboration avec l’Ambassade Suisse à Tunis et faire des tournées dans quelques espaces culturels pour des récitals de poésie m’occasionnerait une grande joie ! Cela d’autant plus que pendant quatre ans, j’étais en démarche individuelle. Si nous devions mettre sur pieds des récitals, je serais heureuse d’être accompagnée par un ou deux musiciens tunisiens. Ce serait un magnifique projet. J’espère qu’il pourra voir le jour en 2023.
*Des projets en perspective pour les mois à venir ?
–Comme toujours, je suis l’étoile et comme les Rois Mages dans le désert sur dos de chameau, je retrouverai volontiers mon dromadaire pour parcourir le Sahara et voir ainsi le chemin vers la lumière par…la Lune Soleil de l’Âme.