Par Sayda BEN ZINEB
Une première au Canada ! Artistes tunisiens au Québec et en Tunisie exposent actuellement côte à côte à l’Artothèque de Montréal (du 15 mai au 15 juin 2024) suite à une courageuse action prise par le trio de commissaires, Neila Ben Ayed, François Leclerc et Mohamed Ben Soltane, en partenariat avec l’ambassade de Tunisie à Ottawa et la Chambre de Commerce canado-tunisienne. Nos artistes, il faut le reconnaitre, cartonnent désormais de plus en plus à l’étranger, de l’Europe à l’Amérique du nord en passant par le monde arabe et l’Afrique.
Selon Neila Ben Ayed, cet événement « est né de la volonté de partager un panorama de la création artistique actuelle en Tunisie et de la relier aux travaux d’artistes tunisiens vivant à Montréal. L’exposition offre à voir, ajoute t -elle, des œuvres de petits et moyens formats et présente plusieurs disciplines allant du dessin, à la peinture en passant par la gravure, la sculpture et la photographie … ».
Créateurs triés sur le volet
« Regards croisés » est organisée dans le cadre du 40ème anniversaire de « Vues d’Afrique » dont l’un de ses fondateurs, Gérard Le Chêne, cinéaste, journaliste et « grand rassembleur qui a constamment mis en relief l’importance de la culture comme antidote à l’intolérance ».On y croise, une dizaine d’artistes de Tunis (Zoubeida Chamari Daghfous, Nadia Zouari, Houda Ajili Harbaoui, Mourad Harbaoui, Walid Zouari, Rachida Amara, Mouna Jemal Siala, Alia Chérif Dérouiche, Imed Jemaiel, Ikram Tira, et trois artistes établis à Montréal, Neila Ben Ayed, Mohamed Ben Soltane et Haifa Abdelhédi.
Des artistes triés sur le volet par un Comité de Sélection qui a tranché pour ne proposer que de véritables travaux de niveau exceptionnel aux nombreux visiteurs venant de divers milieux et cultures, entre ’autres, la Communauté tunisienne vivant au Québec. La cérémonie officielle (24 mai 2024) sera particulièrement marquante en présence d’invités d’honneur, son excellence M. Lassaad Boutara, ambassadeur de Tunisie au Canada, et Mme Souad Siala, présidente de la Chambre de Commerce canado-tunisienne.
Pour une meilleure visibilité de nos artistes
Les commissaires de l’exposition (Leclerc, Ben Ayed et Ben Soltane) investiront un des murs de l’espace pour présenter une installation qui va questionner les thématiques de la « décolonialité » (au cœur de nombreux débats actuellement au Canada) dans les contextes des créateurs en arts visuels du Québec et de la Tunisie. Une autre section de l’exposition sera consacrée, nous explique t -on, à présenter des publications et des articles sur les arts visuels en Tunisie à travers l’histoire. « Cet espace de consultation et de recherche sera particulièrement intéressant » pour les chercheurs en arts visuels, histoire de l’art et muséologie. De même, des ateliers seront donnés au profit de Centres communautaires de Montréal.
Dans un contexte où la diversité artistique contemporaine tunisienne est très peu présente au Canada et en Amérique du Nord, les commissaires de l’exposition estiment qu’un tel événement « réalisé avec beaucoup de bonne volonté mais sans soutiens financiers, pourrait se développer et devenir un rendez-vous annuel mettant à l’honneur les artistes tunisiens du Canada et de la Tunisie. Ce dialogue acquiert une importance capitale car il donne à voir une société tunisienne dynamique et hautement créative qui contraste fortement avec l’image d’une autre Tunisie plus « folklorique »… Cela est primordial pour une meilleure visibilité de nos artistes dans une métropole où il y a de plus en plus de jeunes Tunisiens qui ont choisi le Canada soit pour étudier, travailler ou réaliser les plus beaux de leurs rêves.
Diversité et Liberté…
Artiste, historien et muséologue né et vivant à Montréal, Jean-François Leclerc est très enraciné dans sa culture québécoise qui défie l’uniformisation du monde à l’américaine. Ouvert sur la diversité, il collabore avec d’autres artistes qui cherchent aussi à prendre leur place. Son exploration picturale libre se situe entre la figuration et l’abstraction, en privilégiant les grands formats. Appuyée par des formations ponctuelles et une connaissance de l’histoire de l’art, sa démarche a donné lieu depuis 2012 à des expositions solos et à la participation à plusieurs expositions collectives, notamment à Tunis, de même qu’à la création du groupe d’artistes Identité.e.s dont il est le co-commissaire avec Neila Ben Ayed. Il fait actuellement partie du conseil d’administration des organismes montréalais, l’Afromusée.
Diplômée de l’Université de Montréal et de l’École Polytechnique en design et en aménagement, Neila Ben Ayed a remporté le Premier Prix du concours d’affiche 2003 de Vues d’Afrique et réalisé plus de 200 expositions solos et de groupe au Canada, en Tunisie et dans le monde.
Son univers artistique se situe à mi-chemin entre la figuration et l’abstraction, utilisant à la fois des formes géométriques et spontanées, ainsi que des techniques mêlées de peinture, d’art numérique et de collage. Ses récentes œuvres plongent dans les profondeurs de l’identité féminine et explorent comment les expériences vécues influencent notre identité. L’œuvre présentée à l’exposition, s’intitule « Vivre Ensemble » car elle incite à la coexistence harmonieuse dans une société idéale multiculturelle et souligne également la nécessité de reconnaître et d’inclure ceux qui sont souvent marginalisés ou exclus.
Né à Sidi Bou Saïd et vivant à Montréal, Mohamed Ben Soltane est diplômé de la Section Peinture de l’Institut Supérieur des Beaux-arts de Tunis. C’est un artiste visuel et commissaire d’expositions comptant à son actif plusieurs années d’expériences dans les deux volets. Il a participé à plusieurs expositions à l’échelle nationale et internationale et a touché à plusieurs médiums comme la photographie, l’animation, la bande dessinée, l’installation, la vidéo et la peinture. Le point commun entre ces différentes pratiques, est le sentiment de liberté qui assujettit le médium au concept. Depuis 2012, il s’amuse à créer des personnages attachants et hauts en couleurs tel un hymne à l’amour et à la joie dans un monde qui en a cruellement besoin. Il présente dans « Regards croisés », « Liberté », une peinture dynamique et colorée
Des noms et des parcours…
Artiste graveur multidisciplinaire qui vit et travaille à Tunis, Rachida Amara est diplômée de l’École des Beaux –Arts, ayant à son actif de nombreuses expos en Tunisie et à l’Etranger. Dans sa démarche, elle essaie de marier plusieurs supports, tels que l’installation, la vidéo et la peinture. Bien que la gravure soit sa principale vocation, elle considère cela comme une quête continue d’une matrice picturale. Cette quête se manifeste dans une sorte de scénographie théâtrale mettant en lumière les différents états d’âme de l’être. Tel un metteur en scène, l’artiste travaille sur les décors et les lumières tout en dirigeant ses personnages, où le corps dans l’espace est au centre de son œuvre.
Quant à Houda Lajili Harbaoui, elle vit et travaille à Paris. Sa démarche est inspirée de la culture pop et se distingue par une fusion entre l’expression artistique contemporaine et les éléments culturels populaires. Ancrée dans le mouvement de l’Art pop, cette approche explore l’utilisation de couleurs vives, d’images iconiques et de références à la culture de masse. Chaque œuvre devient ainsi une toile vivante, capturant l’énergie de la culture populaire mondiale tout en intégrant des éléments spécifiques à la Tunisie.
L’artiste plasticienne Alia Derouiche Cherif, vit et travaille à Tunis. Son parcours artistique est marqué par sa participation à des expositions collectives prestigieuses qui témoignent de son exploration audacieuse de la réappropriation de l’héritage colonial à travers des photomontages et des techniques mixtes.
Zoubeida Chamari Daghfous est une artiste autodidacte vivant et travaillant à Tunis. Elle compte à son actif de nombreuses expositions solos et de groupe en Tunisie et à l’étranger. Elle a eu l’honneur d’être exposée par la galerie Ashok Jane à New York en 2014, au siège des Nations Unies en 2016 et de participer à l’échange tuniso-canadien à Montréal en mai 2014. Le thème central de l’artiste est la femme… Elle puise par ailleurs son inspiration dans l’actualité mondiale ou nationale, comme les révolutions, les guerres, les dictatures, les famines, ou encore l’immigration.
Artiste visuel basé à Tunis, Mourad Harbaoui, est reconnu comme représentant du Salon d’Automne International pour la Tunisie, ayant dirigé l’édition tunisienne en 2014. Ses œuvres sont présentes dans d’importantes collections publiques et privées. Il exprime sa démarche en vivant son art librement et sans contraintes. Il ne fixe aucun but, considérant que peindre est son seul objectif. Il refuse de justifier ses toiles par un raisonnement ou une philosophie extérieure. Il a choisi une technique en harmonie avec son tempérament, lui permettant un contact direct avec la matière et la couleur.
Imed Jemaiel, vit et travaille à Tunis. Il a entamé des études en médecine avant de s’inscrire à l’Institut Supérieur des Beaux -Arts de Tunis en 1986. Il obtient un DEA en Arts Plastiques en 1992, marquant ainsi le début d’une carrière d’enseignant universitaire, partageant ses connaissances aussi bien dans la pratique que dans la théorie artistique. Son parcours artistique s’exprime principalement à travers des activités graphiques telles que le dessin et la gravure.
Née à Paris, Mouna Jemal Siala vit et travaille à Tunis. Artiste visuelle, protéiforme, Mouna est titulaire d’une thèse de Doctorat en Arts et Sciences de l’Art de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Elle participe depuis 1993 à plusieurs expositions et biennales dans plusieurs pays et sur les quatre Continents. Son art articule le numérique, le virtuel et le réel. Elle joue très souvent avec l’image pour multiplier les points de vue. Préoccupée par le souci de garder la mémoire d’une action, d’un événement, d’un vécu, elle sillonne son histoire personnelle et celle de son pays, liant de manière indissociable sa vie et son art.
Originaire de Menzel Temime, Ekram Tira Elle vit et travaille à Tunis. Elle a obtenu un master en sciences et techniques des arts à l’Ecole Supérieure des Beaux -Arts et enseigne l’art plastique depuis 2007. Son travail explore les images de masse et questionne la société de consommation. Utilisant principalement le collage, elle recompose des images de brochures et de catalogues pour créer des « anagrammes d’images » qui donnent naissance à des figures quasi-anthropomorphiques, à mi-chemin entre l’organique et le mécanique. Ces formes hybrides s’agencent constamment pour créer un monde nouveau et singulier
Etablie à Paris, Nadia Zouari travaille quant à elle entre la Tunisie et la France depuis une vingtaine d’années, ce qui lui a valu de nombreuses expositions personnelles dans son pays et à l’Etranger. Curatrice d’événements artistiques, elle écrit régulièrement en tant qu’auteur et critique d’art sur différents supports. En 2022, elle a été́ décorée Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres par S.E. André Parant. Sa démarche artistique intitulée « Sillages de l’éphémère » entreprend une exploration profonde des instants fugaces, intégrant la dimension du mouvement pour insuffler une vie poétique à l’instant. Au sein de cette quête artistique, l’artiste est profondément convaincue que la beauté réside dans le transitoire, dans ces moments éphémères qui échappent à notre compréhension immédiate et qui, par leur nature même, portent en eux une essence mouvante.
L’artiste Walid Zouari vit et travaille à Tunis. Il a amorcé son parcours artistique à l’École des Beaux -Arts de Tunis en 1994, puis a enrichi ses compétences à l’École d’Art et de Décoration (EAD) en 1997. Son désir d’explorer les possibilités artistiques l’a conduit au Centre des Arts Vivants de Radès et à la Cité Internationale des Arts à Paris en 2004 où il a étudié les grands maîtres de la peinture ainsi que les courants contemporains. Ses œuvres ont été exposées dans des galeries prestigieuses et font partie de collections tant publiques que privées en Tunisie et à l’étranger. Son travail se caractérise par une exploration constante des formes, des couleurs et des techniques, ainsi que par son désir d’exprimer des émotions profondes. Ses mini-portraits aux formes disparates et aux expressions étranges peuplent ses fresques, envahissent l’espace ou se fondent dans des compositions fluides, toujours avec une expression forte et une harmonie soignée, laissant l’énigme persistante.
L’artiste Haifa Abdelhédi vit et travaille à Montréal. Lauréate de l’École Supérieure des Sciences et Technologies du Design de Tunis, elle est diplômée aussi en design de mode du Collège Lasalle. Son énergie créative l’a conduite vers la peinture. L’artiste a participé à de nombreuses expositions solos et collectives en Tunisie et au Canada, notamment à Montréal où elle a présenté des œuvres de sa série « Nouvelle Vie ». Haifa fait partie de la nouvelle génération d’artistes qui considèrent l’art comme un produit. Son travail fusionne l’art visuel avec le design, offrant une expérience moderne et réinventée.
Courage et réussite à cette belle équipe qui ne fait que hisser haut le Drapeau national !