Par Abdelhamid Zoghlami
Avec l’entrée sur le territoire national des camions de secours libyens chargés de produits de première nécessité dont de la farine, du sucre et du riz, la dernière pierre de l’édifice de l’orgueil national est tombée. Il faut dire que cet édifice était déjà bien malmené par les derniers épisodes avec le FMI où nous avons paru comme de mauvais mendiants.
Pendant plus d’un demi siècle, soit depuis l’Indépendance, les Tunisiens, aidés par le discours politique officiel, ont développé le sentiment, élevé chez une grande part de la population au rang d’une conviction, qu’ils étaient les meilleurs dans leur région. Les plus intelligents aussi, les plus futés et les plus débrouillards parmi les Maghrébins, voire parmi tous les Arabes. Et ce n’était pas tout à fait faux, même si chez les voisins concernés, on passait pour des prétentieux pour les uns, des fourbes pour les autres.
Faisant très tôt le choix de la généralisation de l’enseignant et de la formation, la Tunisie a réussi à faire émerger une société éduquée et entrepreneuse qui a fait la richesse du pays. Nombreux cadres continuent aujourd’hui encore à opérer dans les riches pays frères, qui medecins, qui enseignants, qui experts agricoles…, prouvant la justesse du choix de parier sur l’école.
Cette richesse humaine qui a longtemps fait la fierté du pays, lui valu un même niveau de développement que chez les voisins malgré les abondantes ressources naturelles dont ils disposent. Nous n’avons pas de pétrole mais nous avons des compétences, disait-on, non sans fierté, en pastichant une expression bien célèbre.
Se doutaient-ils cependant les Tunisiens qui ont fait en ce janvier 2011 la révolution pour prouver à eux-même et au monde entier qu’un pays de l’autre rive de la méditerranée, arabe et musulman, pouvait faire le choix de la liberté et de la démocratie, qu’ils seraient un jour dans la situation d’attendre des secours en aliments de base de leurs voisins libyens, pourtant plongés dans une guerre civile depuis plus d’une décennie?
Et pourtant.
La Libye a envoyé des secours à la Tunisie qui n’est victime d’aucune catastrophe naturelle nécessitant une telle assistance. Et c’est, comble de l’humiliation, l’attaché de presse de l’Ambassade libyenne qui a donné l’information selon laquelle des dizaines de camions chargés de farine, d’huile, de sucre et de riz, viennent au secours de la population tunisienne. En matière de diplomatie, on pouvait faire mieux en laissant au moins aux responsables du pays destinataire le soin d’annoncer la nouvelle pour éviter aux Tunisens de paraître aussi miséreux et sinistrés.
Mais la question n’est pas là. La question est: comment en est-on arrivé à un tel état de décrépitude et de déchéance jusqu’à mériter l’aumône?
La question est: alors que l’on célèbre l’anniversaire de la révolution qu’a t-on fait de cette dignité nationale pour laquelle des Tunisiens sont morts ce 14 janvier 2011?
La question est: ces hommes et ces femmes qui faisaient hier encore la richesse et la fierté de la Tunisie, sont-ils devenus aujourd’hui sa malédiction, jusqu’à la pousser à la mendicité?
La Tunisie ne mérite pas ça.