D’un état défaillant, incapable d’assumer ses missions essentielles, la Tunisie se dirige vers un pays avec un état en lambeaux dont il s’avère de plus en plus ardu de recoller ses morceaux. Un État constamment défié par ceux-là mêmes qui sont censés être ses symboles et ses défenseurs les plus acharnés. Un État dont les institutions sont en déliquescence, sinon agonisant. Le pire dans ce cafouillis, c’est que chacun fait de son mieux pour l’achever, de la meilleure manière qui soit, pour le verser dans l’anarchie et le chaos.
Le mauvais exemple vient du haut de la pyramide, de tous ceux qui claironnent, à tue-tête, leur fidélité à la révolution de la liberté et de la dignité, aux principes de la démocratie et à la civilité de l’État. Atteints vraisemblablement par un virus incurable, ils agissent à contre-courant pour mettre à mal un système politique gangrené, une stabilité malmenée, une sécurité menacée par l’hydre terroriste et une démocratie qu’on utilise comme un simple slogan creux.
L’œuvre de destruction massive qui se poursuit, inlassablement et méthodiquement, à un moment où le pays frôle chaque jour des défis de plus en plus insoutenables et des difficultés insolubles.
Tout en soutenant, à cor et à cri, l’impérieuse nécessité de renforcer les fondements de l’État de droit, des institutions, des libertés , rappelant l’urgence d’un sursaut d’orgueil de toutes les forces vives, d’un vivre ensemble qui est consubstantiel au fonctionnement normal du système, de mettre à côté les différences et d’enterrer la hache de guerre et de dialoguer pour parvenir à un consensus, tous les acteurs politiques et sociaux continuent à agir comme les fossoyeurs de cette expérience inédite qui aurait pu éclore et produire un projet rassembleur. Aujourd’hui, on s’aperçoit de l’ampleur du désastre, du gouffre qu’ il est devenu impossible de combler. L’incohérence des uns, le calcul politicien qui guide un grand nombre et l’immaturité des autres ont fini par enfanter un monstre, un contre-exemple.
La qualité du débat public est le révélateur le plus significatif de ce dérapage incontrôlé ? Ce ne sont pas certainement les questions qui conditionnent l’avenir du pays, qui préoccupent les tunisiens, à l’origine de la désillusion des jeunes et de leur perte de confiance, du désenchantement des régions intérieures, exclues du développement, qui polarisent l’attention. Manifestement, notre classe politique, nos élites et nos organisations de la société civile ne maîtrisent pas les bons arguments pour mettre sur la table ces sujets chauds ni les bonnes réponses d’ailleurs. Nonobstant leur incompétence avérée, ils ne s’avouent pas vaincus, bien au contraire, ils ont trouvé le moyen de rebondir, de détourner l’attention de l’opinion publique vers des sujets superflus, insignifiants. C’est sur terrain précis, qui ne demande pas des compétences significatives et encore moins un sens de responsabilité aigu, qu’ils ont découvert leur grande capacité de nuisance et un tantinet popularité. C’est en versant dans le superflu et en profitant aussi de l’éternelle légèreté des médias, que l’on pourra trouver une sorte d’explication à la foire d’empoigne qui règne actuellement à tous les échelons.
On comprendra mieux comment Zouheir Maklouf, du mouvement Karama, par exemple, ou Ahmed Ammar d’Ettayyar, et bien d’autres ont inversé l’ordre des choses, se propulsant au-devant de la scène et devenant des figures de référence. Un tel paradoxe met à nu le dysfonctionnement de nos institutions, le gain de positions que cherchent à obtenir certaines parties chaque fois que surgit un problème et le nivellement vers le bas du débat public.
Le brouhaha provoqué le turbulent député Zouheir Maklouf à l’aéroport de Tunis Carthage, le 15 mars dernier, a été un nouvel épisode de ce président d’un mouvement, qui n’est pas au-dessus de tout soupçon, qui tire sa force de sa capacité à défier l’État et ses institutions et à distiller un discours flirtant avec les pratiques de mouvements obscurantistes qui nient la civilité de l’État.
La question qui risque de déplaire est à quoi bon toute cette focalisation de tous nos médias sur ce fait divers, lorsqu’on sait que l’acteur en question a tout le temps cherché la provocation pour en tirer profit ? Le couac réside dans le fait que la meute des médias qui couvre ses incartades se cantonne à lui offrir une chance inouïe pour faire valoir, à travers vidéo et comptes rendus superficiels, sa capacité à défier l’État et ses institutions.
Il en est de même pour l’affaire de l’enregistrement fuité du député Mohammed Ammar qui a soulevé un tollé de réactions et de contre réactions, au regard de la gravité des accusations qu’il contenait et de l’imbroglio qui caractérise les relations entre les trois présidences. Quelle belle image nous sommes en train de donner à la Tunisie!
Pendant ce temps, le pays continue à sombrer dans l’anarchie, le politiquement incorrect, le traitement approximatif de ses problèmes et l’absence de toute éclaircie qui pourrait annoncer, enfin, une sortie d’un long tunnel lugubre. Il faut prier, attendre et espérer.