Adolescent, sans doute avais-je déjà connu Paris. Tel un papillon quittant sa chrysalide, j’avais piqué quelques fleurs, enivré par les couleurs des unes et saoul de la senteur des autres, mais sans jamais en pénétrer le suc, car la substantifique moelle suppose un tribut qui ne saurait s’accommoder d’un simple survol.
S’y installer à demeure, c’est la promesse de vivre désormais au rythme de Panam, en sentir le réveil ponctué par le son cristallin des cloches, annonçant le moment de quitter sa douillette couche. Bientôt c’est l’agitation trépidante d’une fourmilière courant vers le métro, mais là c’est un parterre de fleurs multicolores fraîchement épanouies.
Quand on n’est pas pressé de prendre le métro, on a tout loisir d’écouter, dans un pays où la liberté d’expression n’est pas un vain mot, autant sur les radios privées que publiques, les savoureux commentaires de l’actualité politique, parfois des joutes musclées où seule l’emporte la puissance du verbe.
Les cours de la Sorbonne sont un autre plaisir dans mon menu quotidien. Chaque jour ce plaisir a sa saveur et ses couleurs particulières. Tantôt, c’est l’éloquence se déployant en période sinueuse où l’on attend avec une complaisante curiosité le point de chute qui rebondit sur un autre registre, tout aussi chargé de modulations ensorcelantes. Tantôt, c’est un discours haché tout empli de réflexions percutantes et dont les allusions, quand ce n’est pas des formules à l’emporte-pièce, sont un pur mitraillage destiné à battre en brèche tout ce qui sent la bigoterie et son attirail d’hypocrites enrobages. Ou bien on est alors dans le royaume d’Érato. Il n’est plus question, ni de prendre des notes ni de suivre un enchaînement qui pourrait déboucher sur une quelconque théorie ou thèse à défendre. C’est le plaisir des mots qui nous lancent, nous entraînent, nous balancent, nous cajolent, nous dorlotent, parfois légèrement nous secouent pour qu’un léger somme ne vienne pas, importun, interrompre cette généreuse manne. Le temps passe bien vite dans cette embarcation sur un fleuve aux eaux doucement caressantes et voguant à un rythme concerté par la volonté d’une Providence complice.
Après un convivial déjeuner entre joyeux lurons, coupé d’un peu de vin rouge et souvent terminé en chansons, chacun vaque à ses occupations. Pour certains, le rituel café est de rigueur, pour d’autres c’est la bibliothèque qui est en point de mire, à moins que ce soit un cours à la Sorbonne, au Collège de France ou ailleurs.
Les plaisirs du week-end, selon le tempérament de chacun, se passent dans une intime sérénité seul ou à deux, ou pour ces increvables qui adorent festoyer, dans les bals dont Paris propose chaque semaine une infinité de choix.
Les plaisirs des vacances, dans un des pays d’Europe, ouvrent d’autres perspectives par la découverte de nouveaux modèles qui méritent d’être médités.
Vivre à Paris, c’est potentiellement accéder à tout, c’est avoir à sa portée ce dont on peut rêver. En disposer ou pas, c’est une autre paire de manche. Parfois tels appas sont là et rien ni personne ne peut nous empêcher d’en jouir, mais on ne s’empresse pas pour en profiter. La conscience que tel souhait est réalisable suffit, à notre bonheur. Car comme chacun sait, tout se passe dans notre petite tête.