Sous perfusion depuis quelques années, la Tunisie a franchi le seuil critique. Le diagnostic que de nombreux experts se sont évertués à établir est sans équivoque. Par la négligence des uns, l’insouciance des autres et l’incapacité manifeste de ceux qui se sont succédé au pouvoir, sa situation actuelle s’apparente de plus en plus à un cas de non assistance à un pays en danger.
Loin de surprendre, les nombreuses déclarations alarmistes faites au cours de la semaine qui s’écoulent par le vice-président de la Banque mondiale, Farid Belhaj, n’ont pas éveillé les consciences, loin s’en faut. Pouvoirs publics, partis politiques et organisations de la société civile, ont la tête ailleurs. Tout en continuant à s’écharper publiquement, à étaler leurs dissensions et divergences et à raviver les tensions sur tout et rien, ils ont réussi à détourner l’attention des tunisiens des questions vitales condamnant le pays à l’inertie et à un attentisme de plus en plus pesant.
Pourtant Farid Belhaj a été, cette fois-ci, on n’en peut plus clair et direct, insistant sur un changement péremptoire du comportement attentiste des autorités dans la mesure où les investisseurs étrangers assistent à une débâcle de la conjoncture économique nationale sans pour autant remarquer de prises d’initiatives. En tirant » la sonnette d’alarme », pour la énième fois, ce responsable de l’une des institutions importantes de Bretton Wood, son message reste inaudible, même si le pays risque de subir le scénario libanais.
Indubitablement, tout l’establishment n’en a cure de ces mises en garde, qui ne sont plus voilées ou laconiques. Voguant la galère , nos dirigeants, qui s’agrippent à leurs chaises, vaille que vaille, accordent peu de soucis à toutes ces questions. Que le pays tombe en ruine, frôle la banqueroute ou verse dans l’anarchie, importe peu. Ce qui compte le plus pour eux, c’est de trouver le moyen le plus sûr de se débarrasser du trublion Abir Moussi,Présidente du Parti Destourien Libre (PDL), de chercher des excuses aux frasques de Seifeddine Makhlouf du mouvement Karama, des arguments pour extirper Nabil Karoui, de son geôle et d’inventer d’ autres inepties pour que le débat public reste en déphasage des réalités.
Point d’attention sur l’urgence de trouver une solution définitive et durable à la question de la production de phosphate. Aucun intérêt pour l’épineuse question de la sécurisation des champs pétroliers dans le sud et aucun signal pour les sociétés étrangères, dont certaines ont commencé, par désespoir de cause, à plier bagage et à chercher d’autres cieux plus cléments. Aucune conscience de la gravité de la situation des finances publiques ni des moyens à mettre en œuvre pour éviter le pire. La situation des entreprises publiques qui croulent sous des déficits abyssaux, des caisses de sécurité sociale qui peinent chaque mois pour verser les pensions, le secteur de la santé publique qui ne cesse d’agoniser et la liste est encore longue, ne suscitent que des réactions timides, de simples déclarations d’intention, de mesurettes, non un engagement ferme ou une réflexion stratégique à même de donner des signes d’espoir. Au moment où les cris se multiplient pour sauver le soldat Tunisie d’une débâcle, dont l’onde de choc risque d’être violente et lourde de conséquences, nos responsables aux abonnés absents, préfèrent la posture attentiste. Pour eux, l’urgence de la situation ne signifie pas grand-chose, ne suscite pas chez eux ni inquiétude et, encore moins, une propension à prendre le taureau par les cornes. En panne d’idées, de projets et d’une perception réelle de la gravité de la situation, ils attendent et observent le navire Tunisie couler, sans que cela ne les interpellent outre mesure. Le surplace est une attitude qui ne leur cause pas tourments, ni réflexion. A défaut d’une alternative sérieuse, de choix clairs et courageux, de conscience de la responsabilité qui leur incombe, ils excellent dans l’art de l’esquive et continuent à nous embarquer dans des guéguerres interminables. Des batailles qui n’intéressent pas les tunisiens, mais qui leur offre le luxe de nourrir leur égo, démesuré, de cacher leur inaptitude à apporter assistance à un pays qui court de dangers dont ils ne seront pas capables d’éteindre les flammes.