« A force de sacrifier l’essentiel pour l’urgent, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel », dixit Edgar Morin.
Cela fait plus de dix ans que la Tunisie se trouve confrontée à des crises sans précédent, qu’elles soient politiques, économiques ou sociales … des mois que le pays fait face à des risques de division qui mettent en péril les fondements fragiles de son système démocratique, les équilibres de son économie et la cohésion de sa société, sans que cela ne suscite un sursaut d’orgueil, une véritable union sacrée de toutes les forces vives du pays.
Au moment où l’heure est à traiter l’essentiel et certainement ne pas à se laisser aller au simplisme ni aux choix hasardeux, on s’aperçoit médusés, qu’on continue à bricoler, à chercher les solutions de facilité, celles-là même qui ne pourraient qu’amplifier le mal, non le guérir.
Au regard de la situation inextricable qui prévaut actuellement, les risques que court le pays pourrait le conduire directement à la banqueroute, à un cycle de perturbations dont il est difficile d’épiloguer son aboutissement.
Pendant ce temps-là, on est surpris par l’insoutenable légèreté de nos responsables qui, malgré la gravité extrême de la situation, continuent à afficher un optimisme béat. En tout cas, ils ne daignent pas encore tenir un discours direct, dire la vérité toute crue aux tunisiens. Comment peut-on espérer une adhésion volontaire à un plan de relance quand on poursuit à entretenir une sorte de flou artistique et s’abstient à avertir les tunisiens sur le prix qu’ils seront obligés à consentir pour sauver leur pays et éviter que le pire n’arrive ?
A vrai dire, le laxisme n’est pas nouveau, ni ne sont les hésitations et l’amateurisme dont on a pris le pli dans le traitement des grands dossiers en suspens. Un constat amer qui renvoie à l’absence cruciale de communication de crise et d’aptitude de toutes les parties impliquées dans cette concertation à jouer franc jeu et de ne pas sacrifier l’essentiel.
Les déclarations du chef de gouvernement, Hichem Mechichi, renseignent fort sur cette insoutenable légèreté qui habite nos responsables politiques. En affirmant que son gouvernement « œuvrera » à garantir les conditions nécessaires à la réussite du plan de sauvetage économique, il ne fait que occulter la difficulté de parvenir à un possible consensus sur des dossiers qui fâchent plus qu’ils ne suscitent une adhésion volontaire.
En soutenant que « Le plan de relance ne doit en aucun cas prendre du retard », il n’avance aucun mot sur la baguette magique dont il va s’en servir pour renforcer la confiance, améliorer l’environnement des affaires, sauver les entreprises publiques ou libérer les initiatives ?
Quelles garanties pourrait avoir le gouvernement qui, cherche avant tout à sauver sa face, pour forcer les partenaires sociaux à signer une feuille de route qui correspond aux attentes des bailleurs de fonds internationaux et pour enclencher, sans tarder, des réformes difficiles qui seront douloureuses mais inévitables pour arracher l’aval des bailleurs de fonds internationaux qui détiennent les vannes des ressources financières si indispensables pour un pays en panne sèche ?
Quelle valeur pourrait avoir un consensus si, dans son esprit et sa lettre, il traduirait un diktat qui reflète la soumission du gouvernement à une série d’engagements qui vont à l’encontre même de l’essence même des réformes à initier ou de la dynamique qu’on espérait conférer à l’économie nationale ?
Quelle portée aura cette feuille de route si on cherche à éviter de discuter des dossiers qui fâchent et lorsqu’on préfère esquiver les problèmes de fonds en se contentant de caresser dans le sens du poil ?
Quel crédit pourraient donner les bailleurs de fonds à une feuille de route qui risque d’être tronquée, en occultant un certain nombre de préalables et des conditions sans lesquels il serait illusoire de voir le bout du tunnel de sitôt ?
Quelles sont les cartes qui sont en main du gouvernement pour vaincre les appréhensions, les incohérences, les hésitations et l’intransigeance des partenaires sociaux s’agissant des négociations salariales, le coût des réformes ou les mesures d’accompagnement ?
Au regard du déroulement des premiers rounds de discussion, on a l’impression qu’on est encore loin du but. Puisque ce sont les intérêts étriqués et les petits calculs qui continuent à prendre le dessus sur toute autre chose. Partant, le consensus souhaité risque de n’être qu’un leurre, dans la mesure où on s’évertue à conforter un positionnement, non à trouver des solutions et des pistes de sortie de crise.