Par Faiza Messaoudi
L’écrivain tunisien Hassouna Mosbahi a décidé de s’installer définitivement dans son village natal Dhibet, bien au calme, au près de Jbel Trazza et de wedi Ejjabes, et ce, après une longue carrière littéraire mouvementée en occident, après la dynamique culturelle des villes et son brouhaha, l’errance et la bohème de l’intellectuel… L’écrivain a choisi le recueillement « littéraire », car même s’il a abandonné les plaisirs éphémères de la vie en ville, il n’a pas cessé de lire et d’écrire, toujours et inlassablement…
Dans cette interview, il nous parlera de sa belle solitude, de l’écriture et de ses projets.
– Vous étiez un bon vivant qui aimait tant la vie bohémienne. Mais vous avez décidé, il y a deux années, de vous retirer dans un village à mille lieues de la vie.
– Un bon vivant, je le suis toujours et je le resterai jusqu’à à la fin de ma vie ! Mais le choix de revenir à mon village natal, et de construire une maison dans un verger d’oliviers et d’amandiers est un bonheur aussi, et c’est en quelque sorte le repos du guerrier ! J’ai beaucoup voyagé, et j’ai vécu dans de grandes villes, et maintenant avec l’âge et les difficultés de la vie qui s’intensifient de plus en plus, j’ai décidé de me retirer pour être loin du bruit et de la fureur d’un monde devenu fou. Mon amour pour la vie, je le trouve maintenant dans la solitude, et dans le dialogue avec moi-même vers le soir assis sous l’olivier laissé par ma mère comme un merveilleux souvenir de son passage sur cette terre !
– Et vous écrivez toujours ! L’acte de l’écriture est-il un engagement quotidien ? Comment gérez-vous votre temps ?
– Oui l’écriture est un acte quotidien et permanent. Elle m’accompagne tout le temps et partout où je vais. J’enregistre tout ce que je sens, ce que j’écoute, tout ce qui me provoque et m’attire positivement ou négativement. Bref, tout est intéressant pour moi. D’habitude, je dors et je me réveille très tôt. Quand j’écris un roman, je commence à travailler de bonne heure ; je consacre le matin pour l’écriture, l’après midi, j’aime marcher, cela me permet de réfléchir et de méditer, de faire mon auto- critique sur certaines choses relatives à mon écriture et ma vie. Le soir, j’aime écouter la musique ou voir un film et avant de dormir je passe un bon moment à lire.
– L’écriture et la vie ou l’écriture est la vie…S’agit-il d’une dualité ou d’une équivalence ?
– Les deux sont inséparables ! L’écriture c’est la vie ! Cependant, je considère que ma vie ne m’appartient pas tout seul. Elle est celle des autres aussi, ceux qui l’ont partagée avec moi. Elle est celle des bédouins avec lesquels j’ai vécu mon enfance et que j’ai décrite dans mes premiers recueils de nouvelles comme Histoire de la folie de ma cousine Hniya, ou la Tortue… Elle appartient aussi à ceux qui ont vécu comme moi l’amertume de l’exil ainsi que ses illusions décrites dans mes romans comme Hallucinations de Tarchich, les autres, Adieu Rosalie et cendre d’une vie. Dans mon roman Fleur d’oléandre, j’ai décrit la situation des femmes maghrébines émigrées en Allemagne, à travers l’une d’elle qui mourrait d’un cancer. Tout cela pour vous dire que vous avez bien compris que mon écriture est inséparable de ma vie ; d’ailleurs tous les écrivains que j’admire et auprès desquels j’ai énormément appris, tels que Joyce, Henry Miller, Céline, Marquez, Flaubert, Giono et d’autres n’ont jamais séparé l’écriture de la vie et vice versa.
– Ce qui distingue votre écriture est cette transparence de la langue, cette simplicité de la construction phrastique, ce style souple et à la portée des lecteurs. On dirait que vous privilégiez une conception plus réaliste et plus épuré de la langue.
– Un vrai écrivain est celui qui est capable de créer sa propre langue et d’enrichir sa langue maternelle. Dès le début, alors que je n’avais que 17 ans, ma préoccupation fut la langue e cette préoccupation demeure encore. La nôtre c’est-à-dire l’arabe est très vieille, très attachée au coran, donc sujette à l’ornementation, à la décoration factice, mensongère, lourde. Pour cette raison j’ai travaillé et je continue à travailler pour enlever les mauvaises herbes du jardin de mon écriture. J’avoue que c’est un travail difficile, mais il est vraiment nécessaire et indispensable. Si l’écrivain réussit à bien le faire, il sentira un bonheur semblable au bonheur de l’orgasme. Pour ce travail de la langue, j’ai différents moyens. Le premier est de relire sans cesse les écrivains classiques comme Al Jahiz qui reste très proche du réel et du quotidien. J’aime également écouter les gens qui excellent dans la langue parlée, bien épicée et bien fruitée. Certains livres tunisiens comme les contes d’Abdelaziz Al Aroui, les chansons tunisiennes de Rezgui , Athaf Ahl Azzamen d’Abn Abi Dhief m’accompagnent tout le temps. Plusieurs critiques tunisiens et arabes ont fait la même remarque que vous, c’est-à-dire que j’écris comme je parle et que ma langue a la même fraicheur et la même spontanéité que le dialecte.
– Vous avez publié l’année dernière une œuvre monumentale sur le Maroc, ce pays qui a attiré d’illustres artistes, écrivains et penseurs. Quel en est votre apport?
Je suis tombé amoureux du Maroc dès mon premier voyage effectué en été 1981…En ce temps là il était encore plongé dans la torpeur et la tristesse des « années de plomb », c’est-à-dire des années 70. J’ai même assisté à un affrontement sanglant entre les syndicats appuyés par les partis de gauche, et l’armée, et j’ai vu des cadavres pourrir dans les rues de Casablanca. Mais cela ne m’a pas empêché d’aimer le pays et de rencontrer des intellectuels et des écrivains de gauche comme de droite. J’ai même eu la chance d’interviewer le poète Abdellatif Laabi qui a été libéré après avoir passé 8 ans en prison ! Depuis cet été 1981, je n’ai pas cessé de visiter le Maroc une ou deux fois par an. Le festival d’Assilah a approfondi mes connaissances sur ce pays « magique » qui a fasciné de nombreux écrivains et artistes occidentaux de différents horizons (Delacroix, Matisse, Jean Genet, Paul Bowls , Jacques Kerouac, Tennesse Williams et beaucoup d’autres) . Et puis je suis d’une génération qui a rêvé d’un Maghreb multiple et unifié, mais ce rêve s’est détruit comme d’autres rêves ; j’ajoute aussi que le Maroc m’a permis d’avoir un horizon culturel et littéraire plus vaste que l’horizon tunisien. Ecrire un livre sur le Maroc était une idée qui m’a possédé pendant de longues années, mais je n’ai pu la réaliser qu’en 2021 et cela a été un grand bonheur pour moi !
– Avez-vous de nouveaux projets?
– Depuis que je me suis installé dans mon village, je suis devenu plus créatif ! Malgré les difficultés de santé que j’ai vécues les derniers mois, j’ai pu réaliser des projets très intéressants ! J’ai traduit la pièce de Peter Weiss sur le grand poète allemand Hölderlin, et qui reflète la situation de l’intelligentsia allemande après la révolution française. J’ai continué à écrire mon journal de Dhibet, et j’ai écrit de nombreux essais et articles littéraires. Mais le projet le plus ambitieux que j’ai réalisé est un roman intitulé : La nuit du jardin d’hiver dont le personnage central est un écrivain qui revient sur son itinéraire et les voyages qui l’ont nourri. Plusieurs villes y sont présentes : Munich, Paris, Madrid, Berlin, Dublin, Tanger, Douz, Tozeur, Djerba, Kairouan, Tunis. Y sont présents aussi des écrivains arabes et étrangers ! C’est un roman que j’ai voulu différent de mes précédents romans dans le style, au niveau de la langue et de la forme !
– Ce pays est petit, il nous est cher et il a besoin de toute son élite. Pourquoi autant de conflits et d’ennemis? Serait-il temps de vous réconcilier pour la construction d’un paysage culturel, littéraire, artistique meilleur?
– Le grand problème de notre petite et merveilleuse Tunisie est l’ingratitude envers ses talentueux enfants, et cela persiste depuis longtemps ! Revenu à Tunis après 40 ans d’exil, Ibn Khaldoun a préféré s’exiler de nouveau après avoir découvert qu’une bande de Cheiks de la Zitouna complotaient contre lui, n’éprouvant que haine pour son grand savoir ! La génération de années 30 qui est à l’origine d’une « révolution culturelle » (Chebbi, Haddad, Douagi et sa merveilleuse groupe a payé très cher sa révolte contre une société malade de ses traditions, de sa torpeur dans un monde en mouvement, de son dogmatisme religieux et son attachement à un passé révolu ! Les meilleurs intellectuels de ma génération ont subi le même sort ! Ceux qui détiennent le pouvoir culturel actuellement, et ils sont presque tous des universitaires, ne se distinguent que par leur haine envers les vrais créateurs et essaient par tous les moyens les plus vils de les marginaliser, et même de les priver de leur pain quotidien ! Et moi je suis leur cible depuis longtemps, et j’accepte de payer le prix car je refuse de me plier devant les « bandits » et les « mafieux » de la culture, et je continue à me battre contre leurs complots !