Par Sayda BEN ZINEB
Sous la houlette du jeune réalisateur Heifel Ben Youssef, le feuilleton « Bab Errezk », avec ses vingt épisodes, a été la principale production de la Watania 1 pendant ce mois de Ramadan 2024. Le feuilleton révèle un projet ambitieux mais qui n’a pas toujours tenu ses promesses. En cause, un récit à deux volets dont l’un est assez original dans son idée de départ et l’autre un peu plus laborieux.
Un cadre au départ assez séduisant
Si l’on veut présenter le point initial du récit, on ne peut que souligner son originalité. C’est l’histoire d’un émigré, « Slim » (Khaled Houissa) qui revient du Texas, États-Unis, suite au décès de son père et après une vingtaine d’années d’exil du bercail. Dans la tête de ce « cowboy » deux idées fixes : d’une part démêler ses affaires du passé qui l’ont obligé à partir et, d’autre part, refonder le modèle de sa ferme tout juste héritée. « Bab Errezk » est donc le récit d’une confrontation entre un passé houleux et un avenir prometteur, le choc entre les titans véreux des milieux d’affaires et les jeunes pousses du projet agricole.
Le débat entre les deux volets de l’histoire se présente comme un puzzle, un secret de polichinelle jalousement gardé et que le personnage principal tente de résoudre pour, à la fois, se venger de ses détracteurs et honorer ses aspirations. La solution de l’énigme est éparpillée et chaque personnage du feuilleton détient une pièce de ce puzzle sans pouvoir y lire le dénouement final. On reconnait là du moins les prétentions du récit, ce vers quoi il aurait voulu mener le téléspectateur tout au long de ses vingt épisodes. La réalité de l’œuvre, telle que présentée au grand public, est un peu plus mitigée par contre.
Thématique inégalement traitée
Pour qu’il y ait un vrai débat entre les deux pans du récit, il fallait que chacun d’eux mette sur la table un éventail assez fourni en thèmes. Commençons par le deuxième pan qui n’a pas déçu. Les rêves de notre héros tournent autour de sujets comme la valeur du travail, le partage des richesses et la relation employeur-employé, la problématique du transport des femmes ouvrières et le danger qu’elles encourent. Même des sujets à la marge comme le financement participatif ont été abordés. Installé dans son « ranch », ce « cowboy » a des idées nouvelles venues d’ailleurs. C’est le rêve d’une révolution à l’échelle de l’économie locale de sa ferme devenue un laboratoire pour ses idées de progrès social inclusif. La revendication du projet s’exacerbe jusqu’au délire même ; celui de fonder un Etat indépendant, un régime social détaché voire un code et des lois propres. Le message que porte ce volet est ultimement politique : la scission plutôt que l’attente d’une quelconque réforme qui tarde à venir.
Qu’en est-il du premier pan de l’histoire ? C’est là que le bât blesse. Pour résumer ce volet, on dirait qu’il s’agit d’histoires de familles, d’embrouilles, des plaies ouvertes par des affaires douteuses comme on en voit dans un feuilleton classique. Il s’agit de répondre aux sempiternelles questions : « Qui a tué qui ? », « Qui est le fils de qui ? », « Qui va hériter de quoi ? »… Au centre de ce rituel, un homme d’affaires « Hadj Tahar » (Kamel Touati), commerçant et contrebandier, dont la famille vacille à coups de torts causés dans le passé et d’appétits pour lui succéder au sommet de ses affaires et de ses richesses. Tout ce qu’il y a donc de plus classique, encore fallait-il trouver le moyen, narratif ou esthétique, pour lier les deux pans ensemble.
Quid du traitement de ces deux volets ? Très inégal dans l’ensemble. L’intrigue quitte très rapidement le deuxième volet et fait du premier le centre de gravité du feuilleton. Les rêves exaltés de « Slim » ne se manifestent que dans ses tirades sans conséquences, rapidement débitées, alors que les scènes et le dialogue en général reviennent sans cesse et inlassablement, en abusant parfois de la patience de l’audience, vers les sales affaires du passé que « Hadj Tahar » entend perpétuer et emmener avec lui. C’est donc aux pas lents de ce personnage que l’intrigue avance finalement et le récit y succombe. A se demander finalement si quelques épisodes ne sont pas de trop tellement le sur-place est de mise tout au long de l’histoire. La quasi-banalité du premier centre de gravité ralentit considérablement tout le récit. De là cette impression de voir un feuilleton à deux vitesses dans son traitement dramatique entre, d’un côté, la rapidité ambitieuse de « Slim » et, de l’autre, la lenteur sénile de « Hadj Tahar » et ses affaires.
Des acteurs qui ont fait de leur mieux
Dans un tel contexte où le scénario peine à décoller et où les événements-clés sont rares, prévisibles ou embusqués derrière le sur-place ambiant, on peut noter l’effort respectable des acteurs du feuilleton. Ils sauvent quelque part la face avec notamment le duo Khaled Houissa et Kamel Touati ainsi que l’actrice-chanteuse Ameni Riahi (Aicha ) dont la voix suave a agrémenté bien des scènes neutres ou fades ou sans grand intérêt à défaut de la contribution de la jeune artiste. Notons aussi la performance de Asma Ben Othmane ( Narjess ) qu’on découvre dans un registre très différent de celui que les fans de la série « Choufli Hall » ont l’habitude de voir quasi-quotidiennement avec son rôle de « Dalenda ».
Les tensions familiales qui ont prédominé dans « Bab Errezk », étant ce qu’elles sont, c’est-à-dire nauséabondes en général, le cadre a été peu propice aux acteurs pour étaler la palette de leur jeu, coincés dans un dialogue qui laisse à désirer, superficiel voire violent et proche de la vulgarité par moments. A la marge de l’intrigue par contre, certains rôles secondaires n’ont pas démérité à l’image de celui de Mehrez Hosni (« Lotfi », laveur de voitures).
Finalement, même si le récit pêche dans bien des domaines, on peut retenir de « Bab Errezk » l’effort de ses acteurs et à leur tête Kamel Touati dont le retour au petit écran ne peut que faire plaisir à ses admirateurs. On notera aussi les splendides images de la campagne avec sa verdure, le lieu de la ferme. On salue aussi les idées qui ont animé le deuxième volet à dimensions économique et politique. On aurait souhaité que le scenario pousse un peu plus loin ces idées et leur donne une certaine forme artistique. Les grandes idées du progrès commencent souvent sous forme d’œuvres artistiques, sous la coupe d’une imagination fertile.